lundi 28 avril 2014

Les plaisirs du cloître, comédie érotique du XVIIIè siècle (anonyme) (1)

-->La pièce se déroule au couvent de N.D, dans la chambre d'une jeune pensionnaire prénommée Marton. Impatiente de découvrir l'amour, cette dernière s'en ouvre à son amie, soeur Agathe, qui lui propose un rendez-vous galant avec Clitandre et un Jésuite.La rencontre a lieu au cours de l'acte III.
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Avis aux lecteurs
Cette comédie avait été composée pour un théâtre de société; la difficulté de bien distribuer les rôles a empêché jusqu'à présent qu'elle n'ait été jouée. Ceux d'Agathe et de Marton étaient aisés à remplir et brigués par les jeunes dames. Ceux de Clitandre et du Jésuite demandaient des acteurs d'une certaine force, et personne n'osa s'en charger. Il viendra peut-être des temps plus heureux. Quoique cette pièce doive emprunter une partie de son mérite du jeu du théâtre et de la nouveauté du spectacle, l'auteur a cru que la simple lecture pourrait amuser. Il a évité avec soin toute expression qui eût pu blesser des oreilles délicates. Pourquoi craindrait-on de jeter la vue sur des objets qui sont tous les jours sous nos yeux, que la plupart des lecteurs connaissent par expérience et dont le détail ne choque personne dans les contes et les romans? S'il se trouve dans cet ouvrage quelques situations un peu vives, elles tiennent nécessairement au sujet. L'auteur se flatte de l'avoir traité avec toute la décence dont il était susceptible.
Heureux si le beau sexe, pour qui seul il a travaillé, daigne lire sa pièce et lui accorde son suffrage.
(...)
 
ACTE TROISIEME



SCÈNE PREMIÈRE

Sœur AGATHE, MARTON



SŒUR AGATHE

Tout succède au gré de nos vœux,

Marton, un jeune enfant m'attendait à la porte;

Nos amants l'envoyaient ; viens vite, je t'apporte

La réponse de tous les deux.

Que je vais tendrement caresser mon jésuite !

Vois la lettre qui m'est écrite.

(Elle lit.)

« Je rendrai, cette nuit, hommage à tes appas,

« Nous ferons à Marton oublier sa disgrâce.

« Reçois Priape dans tes bras

« Sous le manteau de saint Ignace. »



MARTON

Si la vigueur du père égale son esprit,

Que ton sort est heureux! ma chère.

Voyons ce que Clitandre écrit.

(Elle lit.)

« Ce soir, à l'ombre du mystère,

« Marton, je vole à vos genoux.

« J'en jure par l'amour, j'en jure par sa mère :

« Votre amant fortuné sera digne de vous. »

Ce billet est charmant.



SŒUR AGATHE

Chacun a son mérite.

Si celui de Clitandre est plus respectueux,

Je vois dans celui du Jésuite

Un ton plus familier, plus vif, plus amoureux.



MARTON

Faut-il s'en étonner? Des transports de Clitandre

Jusqu'ici ma sagesse avait su se défendre.

Maître de tes appas, le père est moins flatté

D'un bien qu'il a déjà goûté.

Mais, chut... j'entends du bruit... Ah! que je suis émue!

On entre : où me cacher? Ah ciel! je suis perdue.



SCÈNE II



LE JÉSUITE, CLITANDRE, Sœur AGATHE, MARTON.



LE JÉSUITE, sautant au col d'Agathe.

Ma reine, je vole à ta voix.

Que par ce baiser plein de flamme,

Répété mille et mille fois.

Tous mes feux passent dans ton âme.



GLITANDRE, aux genoux de Marton.

Vous me fuyez, Marton. Ah! quelle cruauté!

Rendez-vous aux désirs de l'amant le plus tendre.

De mes transports cessez de vous défendre

Dans ces heureux moments faits pour la volupté.



MARTON, se débattant.

Dans quel abîme, Agathe, ô ciel! m'as-tu conduite?



SŒUR AGATHE

Eh quoi! tu fais l'enfant? tu prétends résister?

Cède au plaisir sans hésiter.

(Elle l'embrasse.)

Viens, timide Marton; mon cœur te félicite

Du bonheur que tu vas goûter.



LE JÉSUITE, entraînant Agathe.

C'est assez, laissons-les, ma chère :

Pour accorder ces deux amants,

Ta présence est peu nécessaire.

Ne perdons point ainsi de précieux moments.



SŒUR AGATHE

Me siérait-il d'être sévère?

Allons sur ce sopha voisin;

D'un torrent de plaisir viens inonder mon sein :

Je me livre à toi, mon cher père.

(Ils se retirent vers le fond du théâtre et se baisent.)



MARTON, pendant que Clitandre la renverse sur le lit et la trousse.

Ah! Clitandre, que faites-vous?

Quoi! vous me mettez toute nue?



CLITANDRE

Permets que j'adore à genoux

Les célestes attraits dont l'amour t'a pourvue;

Laisse-moi de ton corps contempler la blancheur,

L'élasticité, la fraîcheur.

Pardonne un amoureux caprice.

De ce petit lieu de délices,

Qu'ombrage une épaisse toison.

Par ce baiser ardent je prends possession.



MARTON, s'agitant.

Y pensez-vous? Cessez, Clitandre


CLITANDRE  

Bannis un ridicule effroi.



MARTON

Tu te précipites sur moi?

Cruel, de tes transports je ne puis me défendre.

Laisse-moi, du moins, cher amant,

Me placer plus commodément.

(Elle s'arrange et croise ses jambes sur les reins de Clitandre.)



SŒUR AGATHE, se rapprochant.

Eh bien, ami, Marton est-elle encor pucelle ?



CLITANDRE

J'ai soumis à la fin cette beauté rebelle.

Dans ce petit antre charmant

Je vais porter l'embrasement.



SŒUR AGATHE

Ne la ménagez point.



MARTON

Ah! cruel! Quel martyre!

Quelle grosseur!... Il me déchire...

Arrête... Ouf... il me crève... Arrête un seul moment...

Le bourreau va toujours; il ne veut pas m'entendre.



LE JÉSUITE

Sois insensible à son tourment;

Ce n'est pas le cas d'être tendre.



MARTON

Il redouble... le chien... Ah!... ah!



CLITANDRE

Je suis vainqueur.

Je vais, pour calmer ta douleur.

Verser sur ta blessure un baume salutaire;

Le sens-tu?... le sens-tu, ma chère?



MARTON, se trémoussant.

Je sens une douce chaleur.

Qui me pénètre jusqu'au cœur.

Je sens distiller goutte à goutte...

Perce... enfonce, aimable vainqueur.

Ne t'amuse point sur la route...

Pousse, ami... pousse vivement...

Où suis-je?... Je me meurs... Soutiens-moi, cher amant...



CLITANDRE, se relevant.

Ma reine me pardonne-t-elle?

Je sens ce qu'elle a dû souffrir.

Pour les jeunes beautés, nécessité cruelle,

Il faut par la douleur arriver au plaisir.



MARTON, rabaissant ses Jupons.

De joie et de regret, tour à tour combattue.

J'ose à peine sur toi, cruel, lever la vue.

Adieu vertu, sagesse, honneur,

Un instant a souillé ma gloire et ma pudeur.

Cher Clitandre, ah! du moins, si tu m'étais fidèle :

On attaque, on subjugue, on oublie une belle.



CLITANDRE, tendrement.

Bannis ces soupçons odieux.

Comblé de tes faveurs, je t'en aimerai mieux;

Viens : je veux sur toi-même en sceller la promesse.



MARTON, entraînant Clitandre.

Eh bien, jouis de ma faiblesse;

Monte sur ce lit avec moi.

Je m'abandonne toute à toi.



LE JÉSUITE, à sœur Agathe.

Accompliront-ils seuls l'amoureux sacrifice?

Soulage mon tourment, daigne, aimable novice.

M'offrira contre-sens l'objet de mes désirs.

Tout chemin peut conduire au temple des plaisirs.



SŒUR AGATHE

Ah! qu'un amant est tyrannique!

Tu le veux, il faut le vouloir.

(Elle se place et relève ses cotillons; le Jésuite se courbe sur elle et la menace d'une fausse attaque.)

Point de caresse jésuitique,

Fripon, ou pour jamais je renonce à te voir.

Je ne prétends te recevoir

Que par la route canonique.



LE JÉSUITE

Belle Agathe, sur moi tu connais ton pouvoir;

Je ne te ferai point d'injure;

Si parfois au collège à nos jeunes garçons

Nous donnons de telles leçons,

C'est pour soulager la nature.

Soulève-toi, ma sœur.

Suis-je bien?



SŒUR AGATHE

Pousse avec vigueur...

Pousse, ami ; ne crains point d'ébranler ta monture.



LE JÉSUITE

Comme tu l'as gobé ! Pour prix de ton ardeur.

Reçois ce trait de feu.



SŒUR AGATHE

Quelle flamme subtile

Dans mon cœur embrasé distille...

Ne finiras-tu point... je n'y saurais tenir...

Je vais expirer de plaisir.



MARTON, tirant le Jésuite par sa robe.

Allons donc, libertin, rendez-moi mon amie;

Athlètes, suspendez vos coups ;

J'apporte des gâteaux pour Clitandre et pour vous;

Ce vin rallumera votre flamme amortie

Buvons à Bacchus, à l'Amour

Rendons hommage tour à tour.



(Ils mangent et boivent; pendant ce temps, Agathe et Clitandre s'éclipsent.) à suivre...


1 commentaire:

  1. Je découvre votre blog, c'est une mine d'or ! Continuez ainsi, et merci !

    France

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