lundi 20 octobre 2014

La franc-maçonnerie et la Révolution Française, de Maurice Talmeyr (1)


Dans La franc-maçonnerie et la Révolution Française (1904), Maurice Talmeyr (1850-1931) reprend quelques-unes des antiennes contre-révolutionnaires déjà esquissées par Burke, Barruel ou encore De Maistre.


Où en était, au dix-huitième siècle, la  Franc-Maçonnerie en France ? Elle daterait,  exactement, d'après ses propres annuaires,  de soixante-quatre ans avant la Révolution,  de 1725, et ses deux premiers grands maîtres  auraient été deux Anglais, lord Derwentwater, et lord Harnouester. Elle est ensuite  présidée par un grand seigneur français, le duc d'Antin, puis par un prince du sang,  Louis de Bourbon, comte de Clermont, puis,  de 1771 à 1793, par le duc de Chartres, plus tard duc d'Orléans, et, plus tard encore, Philippe-Egalité. 
Philippe-Egalité
En outre, et comme parenthèse, nous pouvons encore faire quelques  remarques intéressantes. On sait que la  première manifestation révolutionnaire du  tiers état, en 1789, fut de s'ériger, à Versailles, en Assemblée nationale et que la formule fameuse : déclarer la patrie en danger devait devenir sacramentelle en 1792. Or, en  1771, à la suite de graves crises intérieures,  la Maçonnerie se déclare en danger. Elle  appelle à Paris des délégués de tous les points  de la France, et ces délégués, dix-huit ans déjà avant 1789, se réunissent en assemblée nationale. De plus, les premiers maçons  établis en France, vers 1723, étaient des  Jacobites et le grand club directeur de  la Révolution est le Club des Jacobins. Condorcet, dans la Septième époque des Progrès  de  l’esprit humain, désigne la Franc-Maçonnerie comme une continuation mystérieuse de  l'Ordre des Templiers, et Louis XVI a pour  prison le Temple, ancien asile de ces mêmes  Templiers. La grande assemblée annuelle des francs-maçons s'appelle le Convent et la  plus fameuse assemblée révolutionnaire s'appellera la Convention. La Maçonnerie, quand  elle avait à proscrire un adepte, le déclarait  suspect, et chacun sait comment, sous la  Terreur, on était déclaré suspect. D'après  Louis Blanc, le récipiendaire, en Maçonnerie,  se coiffait d'un bonnet, pendant qu'on lui  disait : « Ce bonnet vaut mieux que la couronne des rois... » Or, l'orateur, au Club des  Jacobins, se coiffait du bonnet rouge. Enfin, l'une des épreuves de la Franc-Maçonnerie,  avant la Révolution, consistait à faire opérer  au dignitaire maçonnique l'exécution en effigie d'un roi de France sur un mannequin  représentant Philippe le Bel, le prince même  qui avait exterminé l'Ordre des Templiers, et l'acte suprême de la Révolution devait être, de même, l’exécution du Roi.  Doit-on donner, d'ailleurs, à ces premières remarques plus d'importance qu'elles n'en comportent ? Non, et ce sont peut-être là de pures coïncidences. Mais nous pouvons déjà, cependant, avec ces coïncidences, nous sentir dans une certaine atmosphère. En somme, comme en témoigne la liste de  ses grands maîtres, la Franc-Maçonnerie,  dans la période immédiatement antérieure à  la Révolution, ne cesse pas de suivre, malgré  ses crises, une marche ascendante rapide.  Elle devient à la mode, finit par faire fureur et le Grand Orient en arrive à créer ces fameuses Loges d’adoption où les femmes étaient admises. Les récipiendaires femmes, nous apprend M. d'Alméras, auteur d'une  récente histoire de Cagliostro, et qui ne semble l’ennemi ni de Cagliostro, ni des Loges,  sont des « actrices, des danseuses, des bourgeoises ou des grandes dames sans préjugés ». Alors, en résumé, la Franc-Maçonnerie, au moins en apparence, consiste surtout  en bals, en banquets, en démonstrations de  bienfaisance. En 1775, la duchesse de Bourbon recevait le litre de grande maîtresse de  toutes les Loges d'adoption de France, le duc  de Chartres l'installait lui-même dans ce pontificat féminin, au milieu de fêtes magnifiques,  et on faisait une quête, à la fin du banquet, en  faveur « des pères et mères retenus en prison pour n'avoir pas payé les mois de nourrice de leurs enfants ». Telle est, pendant toute cette période, la  façade de la Franc-Maçonnerie. Elle est à la  fois somptueuse et amusante, avec la promesse d'un mystère, probablement inoffensif, et peut-être même agréable, à l’intérieur de  la maison. Sous prétexte de philanthropie, on s'y divertit énormément. On s'y mêle entre  gens de la bonne société et de la moins  bonne, dans l'illusion d'une égalité sociale  qui ne manque pas toujours de piment. On  se donne la sensation d'une vie en double où  l'on s'appelle de noms de guerre, en échangeant des mots de passe. On se procure le  petit frisson d'attendre quelque chose de  secret qui sera peut-être défendu. On joue en grand, en un mot, à ces jeux innocents  qui ne le sont pas toujours, et un prodigieux  enjouement jette toute la société dans ce jeu-là. Les plus honnêtes gens s'en mettent, et  Marie-Antoinette écrit, à cette époque, à  Mme de Lamballe : « J'ai lu avec grand intérêt ce qui s'est fait dans les loges franc-maçonniques que vous avez présidées, et dont vous m'avez tant amusée. Je vois qu'on n'y fait pas que de jolies chansons, et qu'on y fait aussi du bien »   

N'existait-il donc, cependant, aucun motif  de se méfier? Si, et certains Etats, dès le  milieu du dix-huitième siècle, chassaient  assez rudement ces francs-maçons qui s'attachaient en France, avec une si extraordinaire  activité, à amuser les Français, à les faire  danser, à chatouiller leur frivolité. Le pape  Clément XII, en outre, avait lancé contre  eux une bulle assez suggestive, dans laquelle  il les comparait « aux voleurs qui percent la  maison ». On pouvait donc, dès ce moment-là, ne pas déjà voir dans les Loges de simples lieux d'amusements, comme la malheureuse  Marie-Antoinette, et la vue seule des fêtes  qui s'y donnaient causait, d'ailleurs, à beaucoup de gens un inexprimable malaise. Ils ne  pouvaient pas dire pourquoi ils l'y ressentaient, mais ils l'y ressentaient, et il suffit,  pour s'en convaincre, de lire certain passage  des Mémoires de Barruel. Il avait émigré à  Londres après 1792, et, comme tout le monde,  avant la Révolution, avait été sollicité de  prendre part à des réunions maçonniques. « Depuis plus de vingt ans, raconte-t-il, il était difficile de ne pas rencontrer en France « quelques-uns de ces hommes admis dans la Société maçonnique. Il s'en trouvait dans mes connaissances, et parmi ceux-là plusieurs dont l'estime et l'amitié m'étaient chères. Avec tout le zèle ordinaire aux jeunes adeptes, ils me sollicitaient de me faire inscrire dans leur confrérie. Sur mon refus constant, ils prirent le parti de m'enrôler malgré moi. La partie fut liée. On m'invite à dîner chez un ami ; je me trouve seul profane au milieu des maçons... Le repas terminé, les domestiques renvoyés, on propose de se former en loge et de m'initier... Je persiste dans mon refus, et surtout dans celui de faire le serment de garder un secret dont l'objet m'est inconnu... On me dispense du serment... Je résiste encore... On insiste... Je m'obstine... Au lieu de  répliquer, on se forme en loge, et alors commencent toutes ces singeries et ces cérémonies puériles que l'on trouve décrites  dans divers livres maçonniques. Je cherche à m'échapper ; l'appartement est vaste, la maison écartée, les domestiques ont le mot, toutes les portes sont fermées... il faut bien se résoudre à laisser faire. On m'interroge, je réponds presque à tout en riant ; me voilà déclaré apprenti, et tout de suite compagnon. Bientôt même c'est un troisième grade, c'est celui de maître qu'il faut me conférer. Ici, l'on me conduit dans une vaste salle... Jusque-là, je ne voyais que jeu et puérilité, mais je n'avais déplu par aucune réponse... Enfin, survient cette question que me fait gravement le Vénérable : Etes-vous disposé, mon frère, à exécuter tous les ordres du Grand-Maître de la Maçonnerie, quand même vous recevriez des  ordres contraires de la part d'un roi, d'un empereur, ou de quelque autre souverain que ce soit ? — Ma réponse fut : Non ! Le Vénérable s'étonne, et reprend : Comment, non! Vous ne seriez donc venu parmi nous que pour trahir nos secrets ! Vous ne savez donc pas que de tous nos glaives il n'en est pas un seul qui ne soit prêt à percer le cœur des traîtres ! Dans cette question, dans tout le sérieux et les menaces qui l'accompagnaient, je ne voyais encore qu'un jeu ;  je n'en répondis pas moins négativement...A l'exception du Vénérable, tous les Frères gardaient un morne silence, quoiqu'ils ne fissent, dans le fond, que s'amuser de cette scène. Elle devenait encore plus sérieuse entre le Vénérable et moi. Il ne se rendait pas, il renouvelait toujours sa question...A la fin, je me sens excédé. J'avais les yeux bandés, j'arrache le bandeau, je le jette par terre, et, en frappant du pied, je réponds par un ton accompagné de tout l'accent de  l'impatience... A l'instant, toute la loge part de battements de mains en signe d'applaudissement. Le Vénérable donne alors des éloges à ma constance : Voilà, dit-il, les gens qu'il nous faut ; des hommes de caractère et qui sachent avoir de la fermeté... Quel était, cependant, quelques  années plus tard, l'épilogue de cette plaisanterie ? « Je dois, dit Barruel, rendre cette justice à ceux qui m'avaient reçu, que, lors de là Révolution, ils se sont tous montrés bons royalistes, à l'exception du Vénérable que j'ai vu donner à plein collier dans le Jacobinisme
Augustin Barruel
Une société maçonnisée, c'est donc bien celle qui précède immédiatement la Révolution. Elle s'est maçonnisée pour s'amuser, mais elle s'est maçonnisée. C'est l'atmosphère en dehors de laquelle il ne faut pas même essayer de voir cette époque, sous  peine de n'en rien voir de vrai.
( à suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...