mardi 21 octobre 2014

La franc-maçonnerie et la Révolution Française, de Maurice Talmeyr (2)


Dans La franc-maçonnerie et la Révolution Française (1904), Maurice Talmeyr (1850-1931) reprend quelques-unes des antiennes contre-révolutionnaires déjà esquissées par Burke, Barruel ou encore De Maistre.



Et le maçonnisme, dès trente ou quarante ans avant 1789, est si bien déjà devenu l'ambiance générale,  que les philosophes, en réalité, ne répandent  pas simplement leur philosophie par leurs  écrits, mais se conjurent maçonniquement pour la répandre, et dans le sens rigoureux  du mot... Ecoutez Voltaire dans sa correspondance : « Il faut, écrit-il, agir en conjurés, et non pas en zélés... Que les philosophes véritables fassent une confrérie comme les Francs-Maçons... Que les mystères de Mithra ne soient pas divulgués... Frappez, et cachez votre main... » 
La margrave de Bayreuth, la princesse Wilhelmine, devient pour lui la sœur Guillemette, et  lui adresse elle-même des lettres commençant  par ces mots : « La sœur Guillemette au frère Voltaire ». Il avoue lui-même, dans des  lettres qui sont célèbres, qu'il « rend le pain  bénit », et qu'il « communie » par imposture,  afin de mieux tromper les gens. A un certain  moment, il entreprend toute une intrigue,  dans le but de faire reconstruire le Temple  de Jérusalem ! A un autre moment, il entreprend encore une autre intrigue, d'accord avec d'Alembert, pour arriver à décider Louis XV à fonder dans tout le royaume des  écoles professionnelles gratuites, où, sous le couvert d'un soi-disant enseignement professionnel, on devait enseigner clandestinement au peuple la révolte et la sédition. Bertin, l'administrateur de la cassette royale, avait fini par se décider à couper court à ce  complot. Il avait fait une enquête, et qu'avait-il découvert ? Toute une conspiration de colporteurs qui couraient les campagnes, et y vendaient, à des prix insignifiants, des ouvrages incendiaires dont on leur remettait  gratuitement des quantités. Des maîtres d'école étaient déjà même affiliés à la conjuration, et notamment dans les environs de Liège, où ils lisaient à des enfants, dans des réunions secrètes, des livres qu'on leur expédiait par ballots. Et ces maîtres d'école  étaient précisément ceux qui, publiquement,  à l'exemple de Voltaire, et comme par un mot  d'ordre, accomplissaient leurs devoirs religieux avec la dévotion la plus démonstrative ! Plus de vingt ans après, en 1789, entre les  atrocités de la prise de la Bastille et celles des massacres d'octobre, un M. Leroy, lieutenant des chasses royales, s'écriait avec des  sanglots, dans un dîner raconté par Barruel, et qui avait lieu chez M. d'Angevilliers, intendant des Bâtiments du Roi : « J'étais le secrétaire du Comité à qui vous devez cette Révolution et j'en mourrai de douleur et de remords !... Ce Comité se tenait chez le baron d'Holbach... Nos principaux membres étaient d'Alembert, Turgot, Condorcet, Diderot, La Harpe, et ce Lamoignon qui s'est tué dans son parc !... La plupart de ces livres que vous avez vus paraître depuis longtemps contre la religion,les mœurs et le gouvernement étaient notre ouvrage, et nous les envoyions à des colporteurs qui les recevaient pour rien, ou presque rien, et les vendaient aux plus bas prix... Voilà ce qui a changé ce peuple, et l’a conduit au point où vous le voyez aujourd'hui... Oui, j'en mourrai de douleur et de remords... »   Et ce témoignage de Barruel, ces cris de remords de M. Leroy au diner de M. d'Angevilliers, pourraient-ils être contestés? Non! 
Voltaire est entré dans la loge des neuf soeurs en avril 1778
Car voici, en date du mois de mars 1763, des  lettres de Voltaire qui les confirment par  anticipation : « Pourquoi les adorateurs de la raison, écrivait-il alors à Helvetius, restent-ils dans le silence et dans la crainte ? Qui les  a empêcherait d’avoir chez eux une petite imprimerie et de donner des ouvrages utiles et courts dont leurs amis seraient les seuls dépositaires ? C'est ainsi qu'en ont usé ceux qui ont imprimé les dernières volontés de  ce bon et honnête curé Meslier... » Et il   ajoute : « On oppose ainsi, au Pédagogue chrétien et au Pensez-y bien, de petits livres philosophiques qu'on a soin de répandre partout adroitement. On ne les vend point, on les donne a des personnes AFFIDÉES QUI  LES DISTRIBUENT A DES JEUNES GENS ET A DES FEMMES...» En réalité, la conjuration philosophique  n'avait que très peu perverti le peuple, et par une excellente raison, c'est que le peuple ne savait pas lire. Elle avait surtout empoisonné les hautes classes. Mais cette philosophie qui est une conjuration, et qui machine,  dans le mystère, avec des masques et des  trahisons, l'application de ses préceptes,  n'est-elle pas, pour une époque, toute une  caractéristique ? Et elle n'est cependant  encore qu'une demi-conjuration. Elle ne  représente que des préliminaires, et c'est  seulement avec l'Illuminisme que nous  allons voir entrer en scène la conjuration  véritable, celle de la subversion sauvage, et  où s'annoncent, par avance, toutes les atrocités de la Terreur.   L'Illuminisme est peu connu, sinon même  presque inconnu, et c'est pourtant l'Illuminisme qui, en très grande partie, a bouleversé  et ensanglanté le monde, il y a un peu plus  d'un siècle. C'est encore la continuation  directe de l'Illuminisme qui le bouleverse ou  qui le menace aujourd'hui, et son fondateur  est un Allemand, Weishaupt, professeur de  droit au collège d'Ingolstad. A Ingolstad  même, où il professait, Weishaupt, en 1776, posait en secret les fondements de la secte, et voici, d'après sa correspondance, ses instructions écrites et son code, ce qu'était cette  association. 
Adam Weishaupt (1748-1830)
Ecoutez d'abord la doctrine : « La nature a tiré les hommes de l'état sauvage et les a réunis en sociétés civiles. De nouvelles associations (c'est-à-dire les sociétés secrètes) s'offrent à un choix plus sage, et,  par elles, nous revenons à l'état d'où nous sommes sortis ( c'est-à-dire à l'état sauvage ) non pour parcourir de nouveau l'ancien cercle, mais pour mieux jouir de notre destinée... » Le but et la doctrine de l'IIluminisme sont donc bien clairs, et c'est, en  propres termes, le retour à l’état sauvage.  Nous en sommes sortis, il faut y revenir, ne  plus en ressortir, et établir seulement la sauvagerie nouvelle, au milieu de cette forêt perfectionnée que peut devenir la civilisation.  Ecoutez maintenant le développement : « A l'origine des nations et des peuples, le monde cessa d'être une grande famille...le grand lien de la nature fut rompu...Le nationalisme ou l’amour national prit la place de l’amour général. Alors, ce fut une vertu de s'étendre aux dépens de ceux qui ne se trouvaient pas sous notre empire. Cette vertu fut appelée patriotisme, et celui-là fut appelé patriote, qui, juste envers les siens, injuste envers les autres, prenait  pour des perfections les vices de sa patrie...» Et l’illuminisme, en premier lieu,  veut ainsi détruire les patries, mais il ne s'arrête pas là, et vise ensuite ce qu'il appelle  le localisme, c'est-à-dire la cité, puis la  famille elle-même : « Et, dès lors, continue Weishaupt, pourquoi ne pas donner encore à cet amour de la patrie des limites plus étroites ? Celles des citoyens vivant dans une même ville, ou bien celles des membres d'une même famille?... Aussi vit-on alors du patriotisme naître le localisme, puis l’esprit de famille... Ainsi, l'origine des Etats, des gouvernements, de la société civile, fut la semence de la discorde... Diminuez, retranchez cet amour de la patrie, et les hommes, de nouveau, apprennent à se connaître et à s'aimer comme hommes...» 
Et l’Illuminisme bénit maçonniquement les  hommes qui n'ont plus ni patrie, ni cité, ni  famille, ni lois, et dont les bandes errantes  ne se fixent nulle part. Il conclut enfin,  en s'écriant, dix ans avant 1789: « Oui, les princes et les nations disparaîtront de dessus la terre ! Oui, il viendra ce temps où les hommes n'auront plus d'autre loi que le livre de la nature ; cette Révolution sera l'ouvrage des sociétés secrètes...Tous les efforts des princes pour empêcher nos projets sont pleinement inutiles. Cette étincelle peut longtemps encore couver sous la cendre, mais le jour de l’incendie arrivera !...
(à suivre)

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