dimanche 5 octobre 2014

Le procès de La Barre, raconté par Marion Sigaut

Un correspondant québecois m'a informé de cette conférence de Marion Sigaut consacrée au procès et au supplice du chevalier de la Barre. Hormis ses propos sur Voltaire, il n'y a malheureusement pas grand-chose à en retenir, sinon qu'elle commet toujours les mêmes erreurs (involontaires ?). 
Pourtant, lorsqu'elle avance que la justice n'était pas "inféodée à l'Eglise", on ne peut que lui donner raison. D'ailleurs, personne n'a jamais prétendu le contraire... A moins que cela nous ait échappé, personne n'a jamais imaginé un tribunal d'Ancien Régime composé de prêtres et autres prélats, ou bien?
En fait, de Montesquieu à Voltaire, le combat des philosophes des Lumières s'est toujours situé ailleurs, dans cette volonté de laïciser la justice, de faire en sorte que les peines soient proportionnées au crime, et que le blasphème ne soit pas aussi sévèrement réprimé que le vol ou le meurtre. Mais, prétend Marion Sigaut, il n'existait "aucune loi qui condamnait pour sacrilège" (on notera au passage qu'on est passé du blasphème au sacrilège...). Ah, tiens ? Là encore, il est inutile d'en débattre. Donnons plutôt la parole à un homme du XVIIIème, spécialisé dans le domaine.
Marion Sigaut


 http://www.marionsigaut.fr/videos/ER%20Picardie%20Marion%20Sigaut%20Conf%C3%A9rence%20le%20Chevalier%20de%20la%20Barre.ogv

Daniel Jousse est un juriste français (1704-1782) et l'un des plus importants commentateurs des ordonnances et édits de son temps. Les passages ci-dessous sont extraits de son Traité de la justice criminelle.  

Daniel Jousse

Les peines sont ou légales, ou arbitraires. Les peines légales font celles qui ont été établies par les Lois et les Coutumes du Royaume, ou par le Droit commun , l'usage des Tribunaux, pour certains crimes, avec certaines circonstances déterminées. A l’égard des peines arbitraires ce sont celles qui n'ont point été établies précisément par les Lois (...) ce qui fait que la Loi n'a pu établir de règles générales pour leur punition, qu'elle a laissé aux Juges le soin d'arbitrer ces peines, suivant la nature, les circonstances de ces mêmes crimes, ou délits.
En 1651, Louis XIV rendit une Déclaration en date du 7 Septembre (…)  Elle porte, que tous ceux qui seront convaincus d'avoir juré et blasphémé le Nom de Dieu, de la Sainte Vierge, et des Saints, seront condamnés, pour la première fois, en une amende pécuniaire , selon leurs biens , la grandeur et l'énormité du serment et blasphème, dont les deux tiers seront applicables aux Hôpitaux , ou aux pauvres du lieu, l'autre tiers , au dénonciateur, et qu'en cas de récidive pour une seconde, troisième, ou quatrième fois, ils feront condamnés en des amendes doubles, triples et quadruples; qu'à la cinquième fois, ils seront condamnés en l'amende et au carcan, qu'à la sixième fois, ils seront menés au pilori, et auront la lèvre de dessus coupée; à la septième fois, ramenés au pilori, et la lèvre de dessous coupée et à la huitième fois, la langue coupée.
Cette Déclaration ordonne que ceux qui auront entendu proférer ces blasphèmes,  ne les déféreront à Justice, seront condamnés en une amende de 60 fols.
Enfin, elle ajoute qu’elle n'entend pour les peines précédentes, comprendre les blasphèmes énormes, qui, selon la Théologie , appartiennent à l’infidélité , et dérogent à la bonté et grandeur de Dieu et à ses autres, attributs. Elle veut que ces crimes soient punis de plus grandes peines que celles ci-dessus, à l'arbitrage des Juges.
Cette même Déclaration a depuis été renouvelée par un autre Arrêt du 30 Juillet 1666, qui referme les mêmes dispositions. (…)
 II résulte des Ordonnances ci-dessus, que la peine du simple jurement, ou blasphème du Nom de Dieu, de celui de la Sainte Vierge , ou des Saints, est punissable d'une amende arbitraire, plus ou moins forte, suivant la qualité des personnes ; et qu'en cas de seconde, troisième, ou quatrième récidive, l'amende doit être double, triple et quadruple; que si les coupables retombent encore dans le même crime, ils doivent être appliqués au carcan, et avoir les lèvres et la langue coupées, s'ils continuent à proférer les mêmes blasphèmes. (…)
Ceux de la Religion Protestante qui blasphèment contre le Saint Sacrement, contre les Saints, ou contre la Religion Catholique, doivent aussi être punis comme les autres. On les condamne ordinairement à faire amende honorable , au bannissement.
Outre les peines prononcées contre les blasphémateurs , les livres qui enseignent l'Athéisme , ou qui sont faits contre l'honneur de Dieu, ou des Saints, ou contre la Foi et les Mystères de la Religion Catholique , doivent être condamnés à être brûlés comme il est ordonné, tant par les Constitutions canoniques, que par les Ordonnances du Royaume.

Pour finir, un peu de grain à moudre pour Marion Sigaut qui déclare au cours de son intervention : "Si quelqu'un connaît un cas dans l'histoire (condamné à mort pour blasphème ou sacrilège), qu'il veuille bien avoir la gentillesse de me dire lequel." Eh bien, Madame, voici quelques exemples que nous donne Daniel Jousse. Bon courage !
la mort de La Barre

Exemples de Blasphèmes punis.
Par Arrêt du Parlement du 8 Août 1523, un Hermite qui avait proféré quelques blasphèmes contre l'honneur de Jésus Christ , et de la Sainte Vierge , et contre les Saints, fut brûlé vif avec son habit d'Hermite après avoir eu la langue coupée.  
Autre Arrêt du Parlement du Bordeaux du 30 Juin 1530 (…) par lequel un nommé Philippe Huard, dit Giraudem, fut condamné à être brûlé vif pour blasphèmes, après avoir eu la langue coupée.
Autre Arrêt du Parlement de Toulouse du 16 Juin 1542 (…), par lequel cinq prisonniers , pour avoir blasphémé de la Justice divine et humaine, et avoir prononcé des paroles exécrables contre l'image du Crucifix et de la Sainte Vierge, furent condamnés; à savoir, trois à avoir le fouet et la langue percée; et les deux autres, à avoir la langue coupée et à être brûlés tout vifs.
Un autre Arrêt du Parlement de Paris du 21 Octobre 1545 (…) a condamné à mort le nommé Saunier, pour blasphèmes par lui proférés contre 1’honneur de Dieu, du Saint Sacrement, et de la Sainte Vierge.
Autre Arrêt du 20 Août 1578 , par lequel deux particuliers furent condamnés à faire amende honorable, et ensuite pendus, et puis brûlés au Parvis de Notre-Dame de Paris, avec leur procès, à cause de plusieurs blasphèmes exécrables par eux proférés contre l’honneur de Dieu et de la Sainte Vierge, ce qui fut exécuté.  
Autre Arrêt du Parlement de Rennes du 21 Juin 1600 (…), par lequel le nommé Jean Renaud , pour avoir, étant en habit de fol et déguisé , dans l'Eglise de Bocé en Anjou , proféré , pendant la célébration de la Grand Messe, plusieurs blasphèmes et paroles déshonnêtes , et commis d'autres insolences, impiétés et dérisions, fut condamné à faire amende honorable devant ladite Eglise , & ensuite à être pendu, et son corps brûlé et réduit en cendres.
Autre Arrêt du Parlement de Paris du 19 Novembre 1600 (…) , par lequel Isaac Regnault et Jacques Dupain, pour avoir proféré plusieurs blasphèmes exécrables contre le saint Nom de Dieu et de la Sainte Vierge , ont été condamnés à faire amende honorable et à être pendus et ledit Regnault à avoir la langue coupée , et son corps mort brûlé et réduit en cendres.
Autre Arrêt du 26 Septembre 1604, par lequel le nommé Nicolas Marion , pour blasphèmes extraordinaires , fut condamné à faire amende honorable, ayant devant et derrière lui un écriteau avec ces mots, blasphémateur de Dieu; ensuite et être pendu, et son corps mort brûlé avec le procès, et ses cendres jetées au vent.   
Autre Arrêt de la Tournelle du Parlement de Paris du 1 Février 1607, (…)  par lequel un nommé Duval, Savetier de Paris, fut condamné à faire amende honorable devant la porte de Notre-Dame, pour blasphèmes par lui proférés, et ensuite à être pendu, ce qui fut exécuté le même jour.
Autre Arrêt du 8 Mars 1655  (…), confirmatif d'une Sentence rendue au Siège de la Connétablie en la Table de Marbre du Palais à Paris, par lequel le nommé Claude Poulain de Saint-Amour de Torigny a été condamné à faire amende honorable devant la principale porte de l’Eglise de Senlis, et ensuite à être pendu et étranglé, comme blasphémateur du saint Nom de Dieu et de la Sainte Vierge, ce qui fut exécuté le 13 Mars suivant.
(…)
Autre Arrêt du 11 Mars 1681, par lequel Antoine Vanier le jeune, de la Religion Prétendue Réformée, pour blasphèmes par lui proférés contre le Saint Sacrement, et contre les Saints, et avoir parlé avec mépris de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine , a été condamné à faire amende honorable en chemise, et banni pour cinq ans de la Baronnie d'Authon.
Autre Arrêt de la Cour du 12 Mai 1685 (…), par lequel le nommé Joseph de Kumini, pour avoir proféré des blasphèmes exécrables, étant prisonnier au Châtelet de Paris, a été condamné à faire amende honorable la corde au col, avec écriteaux devant et derrière , portant ces mots, blasphémateur et impie exécrable , et à avoir la langue percée d'un fer chaud, et ensuite aux galères à perpétuité.
(…)
Autre Arrêt rendu en la Chambre de Rouen le 23 Juin 1695, par lequel le nommé Pierre Vigier, de la Religion Prétendue Réformée , pour avoir blasphémé contre la Sainte-Vierge a été condamné à faire amende honorable, et en cinq cents livres d'amende.  
Autre du 20 Mars 1720 , par lequel les nommés Bernard Malmolesse et Philippe Basse-de-Bellica ont été condamnés .à avoir la langue coupée et à être brûlés vif, pour blasphèmes exécrables. L'Arrêt ajoute que les grosses et minutes du procès seront brûlés.
Autre Arrêt du 13 Mars 1724, rapporté au Dictionnaire des Arrêts, au mot Blasphèmes, par lequel Charles Lherbé, Nourricier de bestiaux, pour blasphèmes et impiétés exécrables, a été condamné à faire amende honorable la corde au col et nu  en chemise, avec un écriteau devant et derrière portant ces mots, blasphémateur impie , exécrable, abominable, et ensuite à avoir la langue coupée , et à être brûlé vif, ce qui rut exécuté le lendemain.
Autre Arrêt de la Cour du 29 Juillet 1748 , confirmatif d'une Sentence rendue au Bailliage Criminel d'Orléans le 8 Juin précédent, par lequel Nicolas Dufour, pour avoir proféré plusieurs horribles et exécrables blasphèmes contre le saint Nom de Dieu , la sainte Eucharistie et la Sainte Vierge , a été condamné à faire amende honorable nu en chemise et la corde au col , ayant écriteaux devant et derrière, portant ces mots, blasphémateur du saint Nom de Dieu , de la sainte Euchariftie et de la Sainte Vierge et ensuite à avoir la langue coupée et à être pendu, et son corps brûlé et réduit en cendres.


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