dimanche 21 décembre 2014

Julie de Lespinasse : mourir d'amour (1)

Née en 1732, Julie de Lespinasse aura attendu les dernières années de son existence pour découvrir l'amour. D'abord avec le marquis de Mora, fils de l'ambassadeur d'Espagne à Paris ; puis, pendant l'absence de son amant parti soigner ses poumons en Espagne, elle cède aux avances du colonel Guibert, un aventurier qui lui fait goûter "la coupe du délicieux poison".
Mora succombe à la maladie au moment même où Julie se donne à Guibert. La jeune femme ne s'en remettra jamais... D'autant qu'un an plus tard, Guibert lui annonce son prochain mariage avec une jeune fille de 17 ans, confortablement dotée.
(pour lire le récit détaillé de ce drame amoureux, c'est ici)
Nous sommes en 1775. Il reste à Julie moins d'un an à vivre...
Julie de Lespinasse (1732-1776)

Voici quelques extraits des lettres qu'elle a envoyées à Guibert au cours de cette dernière année. 
 
Lettre XCIV
Jugez de mon malheur : je me sentais une répugnance mortelle à ouvrir votre lettre; si je n'avais craint de vous offenser , j'allais vous la renvoyer. Quelque chose me disait qu'elle irriterait mes maux, et je voulais me ménager. La souffrance continuelle de mon corps affaisse mon âme; j'ai encore eu la fièvre , je n'ai pas fermé l'œil, je n'en puis plus. De grâce, par pitié, ne tourmentez plus une vie qui s'éteint, et dont tous les instants sont dévoués à la douleur et aux regrets. Je ne vous accuse point, je n'exige rien, vous ne me devez rien : car, en effet je n'ai point eu un mouvement, pas un sentiment auquel j'aie consenti; et quand j'ai eu le malheur d'y céder, j'ai toujours détesté la force ou la faiblesse qui m'entraînait. Vous voyez que vous ne me devez aucune reconnaissance, et que je n'ai le droit de vous faire aucun reproche. Soyez donc libre, retournez à ce que vous aimez, et à ce qui vous convient plus que vous ne croyez peut-être. Laissez-moi à ma douleur, laissez-moi m'occuper sans distraction du seul objet que j'ai adoré, et dont le souvenir m'est plus cher que tout ce qui reste dans la nature. Mon dieu ! je ne devrais pas le pleurer, j'aurais dû le suivre : c'est vous qui me faites vivre, qui faites le tourment d'une créature que la douleur consume, et qui emploie ce qui lui reste de forces à invoquer la mort.

Lettre XCVIL
Oui, mon ami, je peux vous céder à ce que vous aimez ; mais par ce sacrifice, je dois obtenir de vous de ne plus chercher à nourrir dans mon âme un sentiment qui en ferait le désespoir. Mon ami, je le sais, il ne vous est plus libre de m'aimer. Rendez du repos à votre âme; ne passez pas votre vie à vous reprocher ce que vous faites : cessez d'inquiéter ce que vous aimez, et n'offensez plus ce qui vous aime, et qui prévient votre goût, vos désirs, votre volonté, en un mot, qui vous fait le sacrifice de vous à vous même. Mon dieu! comment pourrais-je croire qu'il ne vous en coûterait pas beaucoup pour me tromper? Ah! si vous n'avez pas assez de force pour faire mon bonheur, du moins il est certain que vous êtes assez honnête pour être affligé de faire mon malheur. Mon ami, croyez-en un cœur qui est tout à vous, et qui ne respire que pour vous.. Ne combattez plus, abandonnez-vous à votre penchant : du moins il me restera la pensée consolante que j'ai fait quelque chose pour votre bonheur; et dans la situation forcée où vous me mettez, j'ai à me reprocher de le troubler. Ah! délivrez-moi et du mal que je vous fais, et de celui que vous me faites
 
Guibert
Lettre CIL
Eh, mon dieu ! que j'ai mal à l'âme! que je souhaite passionnément d'être délivrée, il n'importe par quel moyen , de la disposition où je suis ! j'attends , je désire votre mariage ; je suis comme les malades condamnés à une opération : ils voient leur guérison, et ils oublient le moyen violent qui doit la leur procurer. Mon ami, délivrez-moi du malheur de vous aimer. Il me semble si souvent qu'il n'y a presque rien à faire pour cela, que je me sens une sorte de honte d'y avoir pu mettre l'intérêt de ma vie; mais plus souvent encore je me sens tellement enchaînée, garottée de toutes parts, que je n'ai plus un mouvement de libre : c'est alors que la mort me paraît la seule ressource et leseul secours que j'aie contre vous.

Lettre CXXX
Hélas! il est donc vrai, on survit à tout! L’excès du malheur en devient donc le remède! Ah, mon dieu! le moment est arrivé où je puis vous dire, où je dois vous dire avec autant de vérité : je vivrai sans vous aimer, que je vous disais il y a trois mois : vous aimer ou cesser d'être. Ma passion a éprouvé toutes les secousses , tous les accès d'une grande maladie.

Lettre CXLIV
Mon dieu ! est-ce que vous ne souffririez point de n'avoir point de mes nouvelles? est-ce que cela ne fait pas un vide dans votre vie ? Seriez-vous occupé ou enivré au point de ne pas éprouver tour à tour un besoin actif et une grande langueur ? Est-ce que je ne suis pas bien près de votre pensée lorsque je ne la suis pas ? Ah, mon ami ! ces questions ne vous peignent qu'une bien faible partie de ce que je sens; je meurs de tristesse. (...)

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