mercredi 18 février 2015

Salons et protections au XVIIIè siècle (1)

Dans "Le monde des salons" (Ed. Fayard), Antoine Lilti présente avec beaucoup de lucidité et d'à-propos ce que fut la réalité des salons du XVIIIème siècle.
Il analyse plus particulièrement la relation qui unit l'homme de lettres à la salonnière, s'interrogeant sur la nature de ce donnant-donnant qui conduit les auteurs à fréquenter des sociétés dont ils se plaignent si souvent.
le célèbre salon de Mme Geoffrin

"On y apprend à plaider avec art la cause du mensonge, à ébranler à force de philosophie tous les principes de la vertu", écrit Rousseau dans la Nouvelle Héloïse.  Dans le livre 9 des Confessions, expliquant son besoin de s'éloigner de ce monde, il précise encore : "J'étais si excédé de brochures, de clavecins, de tris, de noeuds, de sots bons mots, de fades minauderies, de petits conteurs et de grands soupers..."
Mais alors comment expliquer que Rousseau, que Diderot, que d'autres encore, se soient soumis à un jeu social qu'ils n'ont jamais cessé de dénoncer ? Comment comprendre qu'une Madame Geoffrin, qu'une Madame du Deffand, que d'autres encore comme Madame de Créquy ou Madame Dupin, aient dépensé, année après année, de véritables fortunes ( parfois plus de 50000 livres par an ) pour accueillir leurs habitués ?

A la première question, Antoine Lilti avance plusieurs explications :

- L'une d'elles, et non des moindres, est que l'homme de lettres qui est reçu dans un salon y trouve de quoi manger et, s'il est un hôte de marque, une place à proximité de la cheminée. Dans une lettre à Walpole datée de mars 1770, Madame du Deffand fait l'état de ses dépenses annuelles et notamment des 18000 livres qu'elle consacre aux frais de table. Si l'on met cette somme en rapport avec les modestes ressources que tirait Rousseau de son métier de copiste, on comprend aisément la nécessité pour bon nombre d'écrivains désargentés de répondre aux invitations des salonnières. 
dépenses et revenus de Mme du Deffand en 1770

- Les bontés de la maîtresse de maison ne se limitent évidemment pas aux plaisirs de la table. Pour subvenir aux besoins de ses protégés, elle les couvre également de cadeaux et de gratifications financières. Ainsi, l'immense richesse de Madame Geoffrin lui permet de pensionner non seulement D'Alembert, mais également le poète Thomas ou encore l'abbé Morellet. Elle n'est d'ailleurs pas en reste avec ses amis peintres du lundi, leur faisant rencontrer des clients potentiels ou leur versant quelque somme d'argent. On trouve sur ses carnets des chiffres comme ceux-ci : " Vien : quatre tableaux pour mon cabinet, 6,000 livres. Vernet : une marine, 2,400 livres. Van Loo : trois tableaux pour ma chambre à coucher, 18,000 livres..."
 
Mme Geoffrin

-Enfin, le salon est un passage obligé pour l'ambitieux qui brigue une place ou une faveur. On y noue de nouvelles relations, on y obtient des protections, on y recherche surtout le succès mondain, étape indispensable dans la reconnaissance publique que recherche l'impétrant. Candidat en novembre 1754 à l'Académie Française, Diderot s'en remet aux bons soins de Madame du Deffand pour lui assurer la victoire et devancer des concurrents bien vus de la Cour comme l'abbé de Boismont ou encore l'abbé Trublet.
Au final, grâce au réseau d'influence de la salonnière, D'Alembert sera élu avec 14 voix, contre 9 et 3 à ses rivaux.
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