lundi 16 mars 2015

La Beaumelle, un ennemi de Voltaire (5)


Dans sa lettre à Mme Denis, La Beaumelle s'était montré perspicace : "Ne faisant qu'entrer dans le monde, il me serait sans doute fort glorieux d'être annoncé par M. de Voltaire."
En acceptant de croiser le fer avec lui, Voltaire a fait connaître le nom de La Beaumelle aux quatre coins de l'Europe.  Peut-on rêver meilleure publicité, quand on n'est rien, qu'un échange d'injures et d'invectives avec le prince des poètes ?
L'affaire n'est d'ailleurs pas à la gloire de Voltaire. "Etrange attitude  que la sienne au cours de ces querelles parfois sordides", écrit son biographe Jean Orieux. "Nous le voyons répondre à ses bas adversaires avec des armes aussi viles que les leurs." Cette attitude n'a en fait rien d'étrange, et Voltaire a toujours agi de la sorte avec ses adversaires, qu'ils se nomment Le Franc de Pompignan, Fréron, ou Desfontaines. 
A cette différence près que La Beaumelle ne bénéficiait pas de protecteurs aussi puissants. Lui était seul, et on conviendra avec Grimm que "ce fut sans contredit, de tous les Titans qui ont osé faire la guerre au dieu de Ferney, le plus violent, le plus opiniâtre, le plus audacieux." Sans doute aussi médiocre que les autres, mais le panache dont il fit preuve dans un combat perdu d'avance mérite néanmoins d'être salué.

Durant son séjour à La Bastille, Voltaire fait paraître un Supplément au Siècle de Louis XIV dans lequel il déverse un nouveau monceau d'ordures sur un adversaire déjà à terre et surtout incapable de se défendre. Avec un cynisme révoltant, il écrit en juillet 1753 : "Je suis fâché d'avoir répondu à La Beaumelle avec la sévérité qu'il méritait. On dit qu'il est à la Bastille ; le voilà malheureux ; ce n'est pas contre les malheureux qu'il faut écrire. Je ne pouvais deviner qu'il serait enfermé dans le temps même que ma réponse paraissait..."
Fâcherie toute relative et dont il est permis de douter, tant Voltaire s'est démené pour mettre son ennemi hors d'état de lui nuire. "Le plus révoltant en cette sorte d'affaire", écrit Orieux, "n'est donc pas de le voir se nuire à lui-même puisqu'il se rachète aussitôt. Le plus pénible est de voir que les La Beaumelle peuvent en portant des coups bas, non seulement blesser un grand homme mais dégrader un chef-d'oeuvre." Malgré l'admiration qu'on éprouve pour le biographe, la louange me semble bien excessive. Car avec ses ennemis, Voltaire ne s'est jamais comporté en "grand homme"...
A sa sortie de prison au mois d'octobre, La Beaumelle n'a pourtant pas renoncé à en découdre. Il répond une nouvelle fois à Voltaire, faisant publiquement l'historique de leurs démêlés (voir ci-contre).

On se contentera là encore de rapporter les premières lignes de l'ouvrage : "Tout le monde vous abandonne, monsieur. Disgracié à Berlin où il ne tenait qu'à vous d'être heureux, on vous rebute à Hanovre où vous ne demandiez pour tout dédommagement que mille livres sterling de pension. On vous refuse un asile à Vienne, où, quelques mois auparavant, on avait eu la faiblesse de vous accorder une lettre de cachet contre moi..." 
Le lecteur devinera aisément la teneur d'un tel libelle...
Cette fois, Voltaire ne répliquera pas. Après deux ans de polémique, le public avait fini par se lasser de cette querelle.  
Il était grand temps de passer à un autre La Beaumelle...

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