mardi 31 mars 2015

Voltaire et l'affaire Calas... (6)

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A Toulouse, Calas avait été jugé par des magistrats convaincus à l'avance de sa culpabilité.
A Paris, il le fut par une poignée d'hommes persuadés de son innocence.
Ces derniers avaient la partie facile, tant l'enquête, menée dans la précipitation, était entachée d'irrégularités. La capitoul Beaudrigue avait négligé de conserver le contenu des poches de la victime, il n'avait laissé aucun de ses hommes en garde devant la maison du prévenu. Dans l'affolement, il avait même oublié de rédiger le procès verbal sur les lieux du crime, comme l'exigeait l'ordonnance criminelle de 1670. Par ailleurs, les monitoires lancés par les curés de paroisses étaient eux aussi irréguliers, puisqu'ils désignaient à mots couverts l'identité du coupable présumé et omettaient d'envisager la thèse du suicide...
(Contre tous ceux qui sauront par oui-dire ou autrement, qu’à cause de ce changement de croyance le Sieur Marc-Antoine Calas était menacé, maltraité et regardé de mauvais oeil dans sa maison... 
Contre tous ceux qui savent, par oui-dire ou autrement, que le 13 courant au matin, il se tint une délibération dans une maison de la paroisse de la Daurade où la mort de Marc-Antoine Calas fut résolue
Contre tous ceux qui savent, par ouï-dire ou autrement, que le même treize du mois d’octobre, depuis l’entrée de la nuit jusque vers les dix heures, cette exécrable délibération fut exécutée en faisant mettre Marc-Antoine Calas à genoux... fut étranglé ou pendu avec une corde à deux noeuds coulants...)
Ces détails connus, on écrit aussitôt (le 25 février) à Toulouse pour désavouer et destituer le capitoul Beaudrigue. 
l'arrestation de Calas par le capitoul Beaudrigue
 
Finalement, l'arrêt de réhabilitation sera rendu à l'unanimité des 40 maîtres de requête. Nous sommes le 9 mars 1765, soit trois ans jour pour jour après l'arrêt de mort de Jean Calas. Singulière coincidence... 
Son épouse, sa fille, l'ami Lavaysse et Jeanne Viguière sont à leur tour déchargés de toute accusation. Le jugement est immédiatement envoyé à l'imprimerie royale: "Les Maîtres des Requêtes ordinaires de l'Hôtel du Roi, juges souverains en cette partie, tous les quartiers assemblés... ont déchargé et déchargent Anne Rose Cabibel, Jean Pierre Calas, Alexandre-François Gualbert Lavaysse et Jeanne Viguière de l'accusation intentée contr'eux, ordonnent que leurs écrous seront rayés et biffés de tous registres où ils se trouveront inscrits, etc. Déchargent pareillement la mémoire de Jean Calas de l'accusation contre lui intentée, ordonnent que son écrou sera rayé et biffé, etc, à quoi faire tous greffiers, concierges et geôliers seront contraints, même par corps...."
Au début de ce même mois, faisant le récit de l'affaire, Voltaire écrit à Damilaville
"On vit alors que s’il y a de grands crimes sur la terre, il y a autant de vertus ; et que si la superstition produit d’horribles malheurs, la philosophie les répare."
Toujours le même sens de la formule...
Le 17 mars, après avoir pris connaissance de la nouvelle, il écrit encore à l'ami d'Argental : 
"Un petit Calas était avec moi quand je reçus votre lettre, et celle de Mme Calas, et celle d’Élie, et tant d’autres: nous versions des larmes d’attendrissement, le petit Calas et moi. Mes vieux yeux en fournissaient autant que les siens; nous étouffions, mes chers anges. C’est pourtant la philosophie toute seule qui a remporté cette victoire. Quand pourra-t-elle écraser toutes les têtes de l’hydre du fanatisme!"

Voltaire a beau attribuer cette victoire à la philosophie, elle est avant tout la sienne. "C'est à mon gré le plus beau cinquième acte qui soit au théâtre", dit-il au moment du triomphe. Cette tragédie, il l'avait réécrite de bout en bout, trouvant pour l'occasion un public à la hauteur de son talent : celui de l'Europe tout entière...
13 ans plus tard, pour son retard à Paris, le dramaturge sera accueilli par des centaines de milliers de personnes venues rendre hommage au défenseur des Calas.
En 1791, lors de son transfert au Panthéon, on lira sur le sarcophage l'inscription suivante :
« Il vengea Calas, La Barre, Sirven et Monbailli. Poète, philosophe, historien, il a fait prendre un grand essor à l’esprit humain, et nous a préparés à être libres. »
(à suivre ici)

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