jeudi 17 septembre 2015

Convulsions au cimetière Saint-Médard (2)

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Ce célèbre épisode de l'histoire du jansénisme (raconté ici par le psychiatre Adrien Borel) donna bien du grain à moudre à tous ceux qui, comme Voltaire, dénoncaient l'obscurantisme religieux de leur temps.


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Et les miracles commencèrent. Je vous rapporterai le premier. Il eut lieu le jour même des obsèques du diacre. Une vieille femme, Madeleine Beignet, fileuse de laine, qui avait un bras paralysé, vint s’agenouiller devant le lit mortuaire. Plusieurs fois, elle avait rencontré Pâris, soit dans la maison où elle demeurait et où il venait voir des indigents, soit encore à la paroisse. Elle l’avait toujours considéré comme un saint. Apprenant sa mort, apprenant surtout les traits éclatants de vertu que la foule racontait sur lui, apprenant enfin que chacun se disputait comme de saintes reliques les objets qui lui avaient appartenu, elle résolut d’aller, comme tant d’autres, prier autour de son corps, se disant que puisque cet homme avait vécu comme un saint et que jusqu’à ce jour, elle n’avait point obtenu sa guérison malgré qu’elle eût invoqué bien des fois la puissance divine, peut-être Dieu la lui accorderait si le la lui demandait par son intercession, Etant arrivée au moment où l’on apportait la bière, elle s’approcha du corps, se mit à genoux pleine de confiance, et elle embrassa les pieds du défunt : bientôt elle se relevait guérie.

 
François de Pâris, inhumé à Saint-Médard le 3 mai 1727


 
Relation du miracle devant notaires
N’était-ce point là la marque certaine de la sainteté que ce miracle accompli avant même la mise au tombeau ? Et l’on ne pouvait qu’admirer la promptitude du ciel à répandre ses bienfaits en l’honneur de ce fils qu’il accueillait sans doute en grande pompe. Ce fut aussi comme une traînée de poudre. Dès le lendemain, le cimetière ne désemplissait plus et naturellement les Jansénistes étaient les plus ardents à venir prier autour de la dépouille de celui qu’ils appelaient déjà leur saint. Et d’ailleurs, les miracles continuaient. Sans doute, souvent furent-ils plus discrets que ce premier que je vous ai décrit. On vit se tarir des ulcères, des abcès se cicatriser, des tumeurs du sein se dissoudre, des paralysies disparaître, etc., etc. Et tous ces miracles furent certifiés par de nombreux témoins. Il serait certainement intéressant d’en reprendre la description et de faire la critique des procès-verbaux qui les authentifient, mais cela ne serait peut-être pas très généreux. Etaient-ce de vrais miracles ? Les pieux pèlerins de Saint-Médard furent-ils vraiment guéris ou bien, comme on l’a dit, le crurent-ils tout simplement ? Qu’importe; il ne m’appartient pas de trancher cette question qui d’ailleurs souleva, à l’époque même, mille polémiques qui s’envenimaient du conflit toujours aigu des Jésuites et des Jansénistes. Le doux Pâris était-il un faux saint faisant de faux miracles ? C’était au fond la thèse des Jésuites qui admettaient mal la possibilité d’un saint janséniste. Ou bien, tout au contraire le Ciel l’avait-il reçu en béatitude, c’était le sentiment populaire et c’était aussi le sentiment de tous ceux qui combattaient la bulle Unigenitus, c’est-à-dire de tous les appelants.

 
Madeleine Durand, guérie d'un cancer

Les choses sans doute en seraient restées là et n’auraient guère dépassé le cadre des disputes théologiques, ou d’un épisode de la lutte entre les Jésuites et les Jansénistes, si brusquement et sans doute, grâce au déchaînement de l’exaltation toujours accrue, si brusquement donc, au milieu de la piété ardente certes, mais sincère des pèlerins de Saint-Médard, n’avait surgi un phénomène nouveau qui n’allait pas tarder à transformer de fond en comble le petit cimetière aux miracles. Le phénomène d’ailleurs se produisit d’abord comme avec une certaine timidité. Plusieurs malades, et principalement des jeunes filles, venues auprès du tombeau et qui naturellement s’étendaient sur la table de pierre qui le couvrait avaient eu de légers soubresauts et même quelques mouvements nerveux. Etait ce là le prodrome des grands accès convulsifs que l’on allait voir par la suite ? Etait-ce comme un premier essai de la grande névrose qui fermentait et n’attendait qu’une occasion pour se manifester ? Peut-être. Chacun sait d’ailleurs qu’autour des foyers miraculeux, les névropathes de tous ordres se pressent toujours au premier rang, Plus que les autres, ils ont besoin de merveilleux. Ils l’appellent à leur secours, ils l’invoquent et plus encore sans doute, à cette époque où les névroses apparaissaient comme relevant d’une origine mystérieuse et restaient le plus souvent tragiquement incurables. Au Moyen-âge, elles conduisaient parfois même au bûcher. Le XVIIIe siècle était déjà trop rationnel, à Paris au moins, pour avoir de ces cruautés, mais mille superstitions flottaient encore dans l’esprit des foules. Et d’ailleurs n’en reste-t-il pas encore même aujourd’hui ?



Et puis, ce saint si discuté, contre lequel tenaient les Jésuites, ce saint qui allait être persécuté après sa mort, ce saint donc représentait, par l’exemple même que proposait sa vie, la plus riche matière à exaltation. Il avait été pauvre parmi les pauvres et il avait souffert. Pour obtenir son intercession, ne fallait-il pas vivre à son image, ne fallait-il pas surtout souffrir comme lui ? Et peu à peu, cette idée mystique de la souffrance salvatrice s’infiltrait dans les esprits. Cette idée d’ailleurs est au fond du jansénisme, dont Pâris devait apparaître comme une des plus hautes individualités. Et les appelants accouraient en foule, assoiffés de pénitence et d’austérité. La mystique morbide qui allait bientôt déborder s’élaborait. Une fureur pieuse s’allumait qu’exacerbaient chaque jour davantage les luttes théologiques. Il fallait que le saint montrât sa puissance. Il fallait qu’il confondît ses ennemis. Certes, il avait déjà fait des miracles ; il fallait maintenant qu’il fit mieux. On y comptait, on l’espérait, on en était sûr. Des oraisons et des cantiques alternaient autour du tombeau. Les foules rassemblées s’exaltaient par la prière en commun, par les appels unanimes au fait éclatant qui convaincrait les incrédules. Un sentiment collectif d’une puissance inouïe unissait tous les fidèles. Le milieu était créé, et la grande névrose n’attendait plus qu’une occasion pour se manifester : elle le fit en juin 1731 et presque du premier coup atteignit sa pleine intensité. La grande aventure commençait.



Un jour donc de ce mois de juin, un infirme obscur et dont on n’a pas conservé le nom, vint implorer le tombeau révéré. Il s’était couché sur la table de marbre comme avaient coutume de le faire les pieux pèlerins de Saint-Médard. Brusquement, ses membres furent violemment secoués par des attaques convulsives. Il s’agitait et se tordait sur la pierre en poussant des cris inarticulés. La foule regardait avec stupeur ce spectacle auquel elle n’était pas habituée. Cela dura quelques minutes, Puis l’infirme se releva et s’étant assis déclara, en reprenant ses esprits, qu’il était soulagé, et que ses jambes tordues ne lui faisaient plus mal.

 
Nouveau miracle à St-Médard



L’effet fut énorme. C’était là le fait éclatant demandé au ciel. Du moins tous l’interprétèrent ainsi. Et dès le lendemain, pareillement étendu sur le tombeau un autre malade reproduisait la même attaque. Huit jours après, il y en avait dix ! Il n’y avait plus assez de place sur la table de marbre. Tout le sol du charnier était, à certains moments, jonché de convulsionnaires qui, à la fois, se tordaient et se démenaient en hurlant ou en gémissant. Et ce n’étaient plus seulement des infirmes ou des malades qui étaient ainsi pris du grand mal, mais même et surtout des gens en apparence normaux, qui parfois même n’étaient venus là qu’en curieux. Certes ce devait être un spectacle étrange et qui tour à tour devait frapper les spectateurs d’admiration ou de terreur. Les prières n’en étaient que plus ardentes, les chants et les cantiques plus fortement entonnés.

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