mardi 16 février 2016

Les députés aux Etats Généraux, des commis de confiance ? par Florence Gauthier (2)

 
L'historienne Florence Gauthier


Dans nos systèmes par contre, être député d’un parti politique c’est recevoir les ordres de mission, non des électeurs, mais des hiérarchies du parti et, de plus, ce système offre la possibilité de faire carrière en s’assurant des revenus réguliers ! À l’époque, non ! Un commis de confiance était payé par ses commettants le temps de sa mission, soit un nombre très limité de mois.
Avec une représentation permanente, comme cela le devint pendant la Révolution, il fallait bien sûr adapter l’institution du commis de confiance et c’est ce qui fut proposé par Robespierre, dans son projet de constitution qu’il fit avec Saint-Just en avril 1793, et qui fut adopté par la Société des Amis de la Liberté et de l’Égalité séante aux Jacobins : Robespierre, grand défenseur des assemblées primaires communales, proposa d’instituer la révocation des élus de la manière suivante :
« À l’expiration de leurs fonctions, les membres de la législature et les agents de l’exécution, ou ministres, pourront être déférés au jugement solennel de leurs commettants. Le peuple prononcera seulement s’ils ont conservé ou perdu sa confiance. Le jugement qui déclarera qu’ils ont perdu sa confiance emportera l’incapacité de remplir aucune fonction publique. Le peuple ne décernera pas de peine plus forte et, si les mandataires sont coupables de quelques crimes particuliers et formels, il pourra les renvoyer au tribunal établi pour les punir.»  
 
Robespierre
Les fonctions publiques étaient renouvelées chaque année et le contrôle des électeurs suivait et était donc fréquent et régulier : il permettait de chasser les « mauvais » commis. On comprend l’intérêt d’une telle institution pour protéger la démocratie…
Je rappelle encore que la Révolution des 31 mai - 2 juin 1793 fut une application du droit du peuple à révoquer ses mandataires infidèles : une manifestation pénétra dans la Convention et réclama la révocation de 22 mandataires, considérés comme ayant trahi le peuple. Il s’agissait des 22 députés girondins qui avaient mené une politique calamiteuse et dangereuse en déclarant la guerre de conquête aux peuples voisins.
La question était d’instituer un contrôle des élus par les électeurs, pour rappeler que le peuple était bien le souverain, car la question centrale de la politique demeure toujours la même : qui prend la décision ? C’est le peuple souverain, répondait cette époque qui avait choisi la démocratie.
Et si c’est le peuple souverain, il doit alors en avoir les moyens institutionnels.
Existait-il des partis politiques pendant la Révolution française ? Oui, bien sûr, il y en a eu de deux sortes : - Ceux qui refusaient le principe démocratique de souveraineté populaire et qui instituèrent une forme d’aristocratie des riches depuis septembre 1789 : ceux-là voulaient, et parvinrent, à supprimer les assemblées primaires communales, jusqu’à ce que la Révolution du 10 août 1792 renverse la Constitution de 1791 et fonde une République démocratique. - Et les partis démocratiques qui respectaient la souveraineté populaire, comme le furent la Société de la liberté et de l’égalité siégeant aux Jacobins et la Société des droits de l’homme, dit Club des Cordeliers. Ces sociétés avaient leurs objectifs et recrutaient ceux qui les partageaient, et leurs réunions étaient publiques. Mais ils ne gênaient pas les assemblées primaires communales et leurs membres y participaient en tant que citoyen, dans la commune ou la section de commune où ils étaient domiciliés. Et ce n’était pas en tant que « parti » que certains d’entre eux pouvaient être élus, mais parce qu’ils étaient connus des citoyens qui les avaient vus agir.
En 1792-1794, les élus de ces sociétés étaient minoritaires à la Convention et c’était le débat sur des propositions précises qui permettait de dégager une majorité. Ces partis politiques ne rivalisaient pas avec les assemblées primaires communales et, au contraire, prirent leur défense.
D’où vient la méconnaissance de ces institutions ? Et pourquoi n’enseigne-t-on pas cette histoire à l’école ? Car enfin, la chose est bien connue des chercheurs et de nombreux ouvrages existent à ce sujet.
La connaissance est une chose et les préjugés d’une époque en sont une autre : le nom même de Moyen-âge, qui date du XIXe siècle, mérite une analyse historique critique que les historiens du Moyen-âge ont entreprise depuis longtemps déjà, mais qui n’atteint pas le grand public.
Pour résumer, je dirai que le mépris du peuple, paysan en particulier, et des pratiques démocratiques des communautés villageoises comme des corps de métiers urbains, a été fortement développé et s’est finalement imposé comme préjugé d’une époque, celle de la victoire d’un « progrès » attaché au formes capitalistes, impérialistes et à l’urbanisation. Le Moyen-âge, qui ne portait pas ce nom jusque-là, est devenu, récemment, au début du XIXe siècle, la période des siècles barbares, de l’obscurantisme religieux et de l’absence de lois : par simple préjugé. Mais lisez le grand historien du Moyen-âge, Marc Bloch, vous y verrez tout autre chose… Regardez aussi Rodney Hilton qui poursuit le travail de Bloch et raconte la longue résistance des paysans à la seigneurie asservissante, en Angleterre et en Italie du Nord, et puis aussi, (c’est en anglais non encore traduit) Bryan Tierney qui a retrouvé l’origine de l’idée de droits naturels de l’humanité tout entière… apparue au Moyen-âge !
Marc Bloch
Et là, nous touchons le problème de la diffusion de la connaissance et des résultats de la recherche dans notre société : une affaire éminemment politique, comme on l’aperçoit.
Si les élections aux États généraux vous intéressent, pour en connaître davantage, reportez-vous à l’excellent : Pierre GOUBERT, 1789, Les Français ont la parole, Collection Archives (en poche), ce sont des doléances des cahiers du premier degré du Tiers-état, choisies et commentées par un grand historien. Ou si vous voulez pousser la curiosité, allez voir Les Archives parlementaires, les premiers volumes, qui détailleront la chose, sur internet… Et si les pratiques démocratiques populaires, à Paris de 1792 à 1794, retiennent votre attention, lisez Albert SOBOUL, Les Sans-culottes parisiens en l’an II, Seuil, 1968.

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