mardi 31 mai 2016

Madame de Pompadour, vue par d'Argenson (13)

Si Madame de Pompadour suscita bien des haines, celle que lui vouait le Marquis d'Argenson fut particulièrement mordante.Voici, année par année (ici, la fin de l'année 1756 et le mois de janvier 1757), ce qu'il rapporta d'elle dans son journal.
le marquis d'Argenson
(lire l'article précédent ici)
 
Juin 1756 -

Mme de Pompadour se donne comme auteur principal de notre mauvais traité avec la cour de Vienne, comme ayant fait un grand coup de partie pour nous donner cette puissante amie et pour jouer un mauvais tour au roi de Prusse. L’on dit que ce prince nous devient contraire, et tout ceci est très mauvais.

  J’apprends des anecdotes de notre alliance avec la cour de Vienne : c’est l’ouvrage de Mme de Pompadour, c’est une pure affaire de cour et de femmes, où l’amour de la famille a prévalu partout, et où les intérêts de l’État ont été mis de côté, ce qui n’est pas bien à notre monarque bien-aimé. Voilà le danger des favorites trop écoutées : malheur à tout sujet qui, ayant quelque chose à craindre de la cour, s’ingérerait à blâmer ce traité !

La marquise de Pompadour s’est mise à la tête de ce projet, et c’est ce qui l’a rendue si nécessaire et plus favorite que jamais, quoique le Roi ait présentement un petit sérail secret dans ses cabinets, composé de trois grisettes jeunes et jolies, Mlle Fouquet, fille d’une coiffeuse, la demoiselle Hénaut, et une troisième de la même extraction (...)

Juillet 1756 -—
 
Un courtisan m’a dit que l’abbé de Bernis avait affecté à Compiègne des airs de premier ministre, et que cette intrigue de cour était une grande crise pour mon frère (Ndlr : le comte d'Argenson), car sa brouillerie avec la marquise n’est pas douteuse, et, s’il faut qu’elle place l’abbé de Bernis aux affaires étrangères, elle gouvernera tout par lui. Elle paraît grande autrichienne, et, ce changement de système étant son ouvrage, elle y tiendra davantage; par elle aussi ce système tient au parti des prêtres et des jésuites.

Je sais que le Roi a dit cet hiver qu’il ne tenait plus qu’à une affaire de conséquence pour renvoyer la marquise (...)

 
la Pompadour
Novembre 1756 -

Ce parti de la marquise est composé de M. de Soubise, qui, quoique honnête homme, y a été embarqué par les intérêts de son ambition, le garde des sceaux Machault, l’abbé de Bernis, M. de Poyanne, homme médiocre et insolent comme un laquais, etc., voilà les principaux. Le Roi, par habitude , se laisse gouverner par ce parti, et, s’il trouve quelque contre-poids dans ses ministres, il suit en cela les plus mauvais partis, déférant à deux cabales contraires qui l’emportent successivement.
 
Qu’est-ce qu’un gouvernement où une putain se mêle de tout et dispose de tout ? (...) Il n’y aurait de remède à ceci que de chasser cette favorite ou la réduire à sa quenouille. Elle a près du Roi la charge d’avoir sa confiance et d’être sa consolatrice. Le Roi trouve, dans ce service rendu par une femme, une douceur, un calme, des attraits qu’il ne trouve pas dans un homme, quelque ami qu’il lui fût. 

Décembre 1756 -

L’on m’a convaincu que de plus en plus la marquise de Pompadour devient le premier ministre de France, et que le Roi se livre aux conseils faux et contradictoires de cette femme; son assujettissement par les sens est dissipé, mais il reste celui des âmes. Cette favorite a peu d’esprit, mais Louis XV, par sa timidité, par son manque de clairvoyance et d’expédients, s’est mis fort au-dessous d’elle; ainsi, dans ses propositions, elle se trouve avoir sur lui la supériorité des âmes fortes sur les faibles. Elle veut fortement ; d’un autre côté, elle a eu l’industrie de s’associer des hommes propres aux affaires, comme MM. de Machault et de Bernis. Ceux de nos ministres qui trouvent leur compte à quelques-unes de ses idées y applaudissent, et voilà comme cette favorite a beaucoup plus d’autorité par les affaires qu’elle n’en avait par les voluptés. C’est elle aujourd’hui qui conduit cette grande guerre entre la magistrature et l’épiscopat, et actuellement elle est pour les évêques. Elle a dit au Roi : « Soyez ferme, soyez hautain, vous avez le Pape pour vous. » 

Janvier 1757 -— 
 
Il est vrai que, depuis l’assassinat du Roi, la marquise n’a pas vu Sa Majesté un instant. Elle soutient sa disgrâce en dissimulant, mais peu à peu on l’abandonne. Elle n’a pas même reçu un billet de Sa Majesté qui ne semble pas penser à elle. Pendant ce temps-là, le Roi voit tous les jours le P. Desmarets, son confesseur, et a fait à la Reine bien des déclarations d’amitié et de sagesse. Tout cela sent un grand changement à la cour.
 
Damiens poignarde le roi
Le récit du marquis d'Argenson s'achève en ce mois de janvier 1757, peu après l'attentat de Damiens.

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