samedi 11 juin 2016

Xavier Martin : Voltaire Méconnu (4)


Combien furent-ils, au XVIIIème siècle, à croiser le fer avec Voltaire dans le seul espoir de se faire un nom ? On en connaît de talentueux (Rousseau) qui lancèrent leur carrière par un défi adressé au mentor des Lumières (songez à sa Lettre sur la Providence en 1756, puis au célèbre "je ne vous aime point, monsieur... je vous hais, enfin" en 1760).
D'autres, comme le journaliste Fréron, doivent leur renommée au combat qu'ils menèrent contre le prince des poètes. 
Les derniers, d'obscurs gratte-papier en quête de gloire (et le plus souvent d'une sinécure...), sont retombés dans un anonymat dont ils n'auraient jamais dû sortir. 
Tous ont du moins un point en commun : Voltaire a répondu à leur déclaration de guerre. 
Et tous, sans exception, ont été écrasés...
Le Franc de Pompignan fut de ceux-là : on sait ce qu'il advint de lui. Et reconnaissons avec le biographe Jean Orieux que dans ces moments-là, "nous le (Voltaire) voyons répondre à ses bas adversaires avec des armes aussi viles que les leurs." 
Mais cela, nous le savons déjà...

 ***

Dans son pamphlet, l'universitaire Xavier Martin évoque le sort d'un autre de ces fiers-à-bras, le dénommé Laurent Angliviel de La Beaumelle. Comme on en a déjà longuement parlé ici , on ne rappellera pas les interminables tribulations du conflit qui a opposé les deux hommes. 
La Beaumelle

Penchons-nous plutôt sur la manière dont Xavier Martin nous expose les faits.
En premier lieu, il nous présente La Beaumelle comme un jeune écrivain "talentueux" p.47 dont "les productions avaient l'indécence de lui ( à Voltaire ) faire ombrage"p.43. D'emblée, l'essayiste insinue que le philosophe se serait acharné par jalousie, afin de faire taire un auteur jugé trop brillant. Or, il n'en est rien. Qu'a écrit La Beaumelle en 1751, au moment où il arrive à Berlin ? Mes Pensées ou Qu'en dira-t-on ? , un ouvrage de réflexions "qui ne firent penser personne" selon Jean Orieux. On y trouve néanmoins le jugement qui suit : "Qu'on parcoure l'histoire ancienne et moderne , on ne trouvera point d'exemple de prince qui ait donné sept mille écus de pension à un homme de lettres , à titre d'homme de lettres. Il y a eu de plus grands poètes que Voltaire; il n'y en eut jamais de si bien récompensé, parce que le goût ne met jamais de bornes à ses récompenses. Le roi de Prusse comble de bienfaits les hommes à talents, précisément par les mêmes raisons qui engagent un petit prince d'Allemagne à combler de bienfaits un bouffon ou un nain".  
Passe encore que La Beaumelle ait été impertinent. Mais qu'il ose ensuite demander audience à l'homme qu'il venait d'injurier, ce même homme dont il sollicitait le concours, deux ans plus tôt, pour créer une collection d'ouvrages classiques à Copenhague ! Une telle audace pourrait être mise sur le compte de l'inconscience. J'y vois pour ma part la provocation parfaitement réfléchie d'un boutefeu désireux d'en découdre avec le prince des poètes. Lorsque Xavier Martin prétend que Voltaire s'est "obstiné à le poursuivre obstinément (sic...) de sa vindicte", il omet d'ailleurs de rapporter les menaces de La Beaumelle ("je le poignarderai en publiant ses crimes dont j'ai une liste assez exacte", lettre à Mme Denis en 1753).
Pour entrer dans la lumière, il lui fallait approcher du soleil Voltaire. Ses démêlés avec le poète distrayaient le public ? Eh bien, La Beaumelle allait lui en donner pour son argent !

D'abord dans Le Siècle de Louis XIV par M. de Voltaire […] nouvelle édition augmentée d'un très grand nombre de remarques, par M. de La B*** (publié sans privilège en 1753), puis dans le Commentaire sur La Henriade  (1775).
Dans ces deux rééditions, La Beaumelle s'autorise à donner des leçons de style et de grammaire au prince des poètes. Jugez-en plutôt :


 Et là, quelques autres commentaires tout aussi essentiels :
 
La suite sera à l'avenant :  
- Réponse au Supplément du Siècle de Louis XIV ( en 1754)
- Lettres de M. de La Beaumelle à M. de Voltaire (en 1763)

Voilà pour l'écrivain qualifié de "talentueux" par Xavier Martin...  

Le véritable tort de Voltaire est d'avoir donné prise à un aussi insignifiant détracteur. Car comme l'explique fort sobrement Jean Orieux : s'"il a pu pour un instant ressembler à un La Beaumelle (...) les La Beaumelle ne ressemblent jamais à un Voltaire."
 

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