lundi 5 septembre 2016

Travailler le dimanche ! (1)

On connait le propos de Tocqueville selon qui "La Révolution a achevé soudainement, par un effort convulsif et douloureux, sans transition, sans précaution, sans égards, ce qui se serait achevé peu à peu de soi-même à la longue." Et d'ajouter : "Si elle n'eût pas eu lieu, le vieil édifice social n'en serait pas moins tombé partout, ici plus tôt, là plus tard".
Du côté des Anti-Lumières, on prétend au contraire que ces événements révolutionnaires n'avaient rien de naturel, qu'ils ont été la conséquence d'un long travail de sape mené en premier lieu par les encyclopédistes (contre les pouvoirs spirituel et temporel) et conclu après 1789 par une minorité agissante, soi-disant représentative du peuple, mais oeuvrant en réalité pour les seuls intérêts des forces de l'argent.

*** 

Prenons l'exemple très significatif (et actuel !) du travail du dimanche, largement prohibé sous l'Ancien Régime, et présenté de la sorte par l'encyclopédiste (et économiste) Faiguet de Villeneuve :

M. l’abbé de Saint-Pierre qui a tant écrit sur la science du gouvernement, ne regarde la prohibition de travailler le dimanche (...) que comme une règle de discipline ecclésiastique, laquelle suppose à faux que tout le monde peut chômer ce jour-là sans s’incommoder notablement. Sur cela il prend en main la cause de l’indigent et non content de remettre en sa faveur toutes les fêtes au dimanche, il voudrait qu’on accordât aux pauvres une partie considérable de ce grand jour pour l’employer à des travaux utiles, et pour subvenir par là plus sûrement aux besoins de leurs familles. Au reste on est pauvre, selon lui, dès qu’on n’a pas assez de revenu pour se procurer six cents livres de pain. A ce compte il y a bien des pauvres parmi nous.
l'abbé de Saint-Pierre
Quoi qu’il en soit, il prétend que si on leur accordait pour tous les dimanches la liberté du travail après midi, supposé la messe et l’instruction du matin, ce serait une œuvre de charité bien favorable à tant de pauvres familles, et conséquemment aux hôpitaux ; le gain que feraient les sujets par cette simple permission, se monte, suivant son calcul, à plus de vingt millions par an. Or, dit-il, quelle aumône ne serait-ce point qu’une aumône annuelle de vingt millions répandue avec proportion sur les plus pauvres ? N’est-ce pas là un objet digne d’un concile national qui pourrait ainsi perfectionner une ancienne règle ecclésiastique, et la rendre encore plus conforme à l’esprit de justice et de bienfaisance, c’est à-dire plus chrétienne dans le fond qu’elle n’est aujourd’hui ? A l’égard même de ceux qui ne sont pas pauvres, il y a une considération qui porte à croire que si après la messe et les instructions du matin, ils se remettaient l’après-midi à leur travail et à leur négoce, ils n’iraient pas au cabaret dépenser, au grand préjudice de leurs familles, une partie de ce qu’ils ont gagné dans la semaine ; ils ne s’enivreraient pas, ils ne se querelleraient pas, et ils éviteraient ainsi les maux que causent l’oisiveté et la cessation d’un travail innocent, utile pour eux et pour l’état.

Aux yeux de l'encyclopédiste, le travail dominical présenterait non seulement un intérêt économique (estimé ici à vingt millions), mais également un intérêt moral, en luttant contre la débauche populaire du dimanche après-midi.
A l'opposé, la pasionaria des Anti Lumières, Marion Sigaut, voit dans cette proposition le symbole même de ce qu'elle nomme l'antihumanisme des Lumières. Face à cette offensive libérale, l'Eglise s'est alors érigée en garante des droits sociaux traditionnels. Voyez plutôt :
Marion Sigaut
 
L’archevêque de Paris Mgr de Beaumont condamna l’ouvrage à la mode qu’il voyait comme anti-chrétien et la guerre éclata entre « les Lumières » et l’Eglise qui obtint, par deux fois, l’interdiction de la publication.Comment pouvait-on s’opposer à la diffusion d’un Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers ! Il suffit d’ouvrir le dictionnaire pour comprendre.
Prenons l’article Dimanche : il y est suggéré de lever l’interdit touchant au travail ce jour-là. L’idée, généreuse, consiste à dire que si les pauvres, une fois accomplies leurs dévotions le matin, avaient l’autorisation de travailler l’après-midi, « ce serait une œuvre de charité bien favorable à tant de pauvres familles ; le gain que feraient les sujets par cette simple permission, se monte à plus de vingt millions par an. »
En interdisant aux pauvres de travailler plus pour gagner plus, l’Eglise ne faisait-elle pas montre d’inhumanité ?
La sollicitude de l’Encyclopédie pour ceux qui n’ont que leurs bras pour vivre ne s’arrêtait pas aux plus pauvres, puisqu’elle suggéra d’autoriser le dimanche aux autres qui, ainsi, «n’iraient pas au cabaret dépenser, au grand préjudice de leurs familles, une partie de ce qu’ils ont gagné dans la semaine ; ils ne s’enivreraient pas, ils ne se querelleraient pas, et ils éviteraient ainsi les maux que causent l’oisiveté et la cessation d’un travail innocent, utile pour eux et pour l’état.»
Et ne serait-ce pas faire œuvre d’une grande utilité, - ce sera le maître-mot des idées nouvelles – que « d’employer quelques heures de ce saint jour pour procurer à tous les villages et hameaux certaines commodités qui leur manquent: un puits… une fontaine, un abreuvoir, une laverie, etc. surtout pour rendre les chemins beaucoup plus aisés qu’on ne les trouve d’ordinaire dans les campagnes éloignées. »

Faire travailler le peuple le dimanche pour lui interdire de s’amuser et compléter gratuitement ce que la corvée, qui lui incombait déjà totalement, ne pouvait encore fournir : l’humanisme des Lumières n’apparut pas de manière évidente à tout le monde.

Pour l'historienne, ce mano a mano se résume à une opposition entre les défenseurs du "vieil édifice social" (disons: l'Eglise) et les zélateurs d'une société nouvelle (disons : les encyclopédistes), soumise aux puissances de l'argent.

(A suivre ici)




 

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