jeudi 27 février 2014

La révolution fut-elle bourgeoise ? par Florence Gauthier (2)

(Florence Gauthier est Maître de conférences en histoire moderne à l’Université Paris VII)
 
Florence Gauthier (Ici, avec Etienne Chouard)



Je commencerai par le problème de la perte de visibilité d’un libéralisme éthico-politique révolutionnaire, qui s’est pourtant largement exprimé pendant la révolution, et qui a été depuis, recouvert par un libéralisme économique privilégié de façon unilatérale, entre autres par les tenants du schéma interprétatif de la “révolution bourgeoise”.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a été le produit de trois siècles d’expériences et de réflexions, centrées sur l’idée de droit naturel universel. La philosophie du droit naturel moderne, confrontée aux conquêtes coloniales, à l’extermination des Indiens, à la mise en esclavage des Noirs, aux massacres des guerres de religion, au despotisme de l’Etat, à l’expropriation des petits producteurs, à la prostitution de subsistance, s’affirme, dans un effort cosmopolite, comme la conscience critique de la “barbarie européenne”.
La Déclaration des droits de 1789 n’a donc pas été l’œuvre de quelques jours. Son objectif était de mettre un terme au despotisme et à la tyrannie.
La monarchie de droit divin était de nature despotique. Le roi n’était responsable que devant Dieu. Il devait cependant respecter la “constitution” du royaume, mais son irresponsabilité autorisait le despote à outrepasser ces limites purement morales et à devenir un tyran.
En établissant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la révolution voulait mettre un terme au despotisme qui reposait sur une théorie pratique du pouvoir sans limites autres que morales (le bon prince), donc sans droit. Le principe de souveraineté populaire détruisait celui de droit divin et restituait la souveraineté, comme bien commun, au peuple. Ce faisant, le principe de souveraineté populaire s’accompagnait de la séparation entre politique et théologie : au cœur de la doctrine des droits de l’homme et du citoyen se trouve la liberté de conscience, ce fruit précieux produit par les hérétiques qui affirmèrent, contre tous les dogmatismes doctrinaux, l’existence d’un droit naturel attaché à la personne et qui passe avant tout pouvoir ici-bas et s’impose à toutes les institutions créées par les hommes.

Dans ce sens, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fondait un contrat social sur la protection des droits personnels et du droit collectif de souveraineté populaire, c’est-à-dire sur des principes traduits concrètement en termes de droit.
S’appuyant sur les expériences hollandaise et anglaise et sur celle des Etats-Unis, la Déclaration des droits établissait le principe lockéen du pouvoir législatif, expression de la conscience sociale, comme pouvoir suprême.
A contrario, le pouvoir exécutif était considéré comme dangereux par nature. En effet, le despotisme se caractérisait, et se caractérise toujours, par une confusion de l’exercice des pouvoirs législatif et exécutif. L’exécutif devait donc être subordonné étroitement au législatif et responsabilisé, c’est-à-dire contraint de rendre des comptes rapidement, de façon à permettre de l’empêcher de nuire dès que possible.
Insistons sur ce point : l’objectif des révolutions de 1789 et de 1792-94 était de déclarer les droits de l’homme et du citoyen, de construire un pouvoir législatif suprême et d’inventer des solutions nouvelles pour parvenir à subordonner l’exécutif, dangereux dès qu’il est autonome, au législatif.
La théorie de la Révolution des droits de l’homme et du citoyen est donc libérale : la Déclaration des droits affirme que le but de l’ordre social et politique est la réalisation et la protection des droits de liberté des individus et des peuples, à condition que ces droits soient universels, c’est-à-dire réciproques, et ne soient donc pas transformés en leur contraire, c’est-à-dire en privilèges. Cette théorie de la révolution affirme également possible une société fondée non sur la force, mais sur le droit. Ici, la légitimité du droit devient le problème même de la politique.
Il se produisit un conflit exemplaire pendant la Révolution lorsqu'éclata la contradiction entre liberté politique fondée sur un droit personnel universel et ce que l’on appelle la liberté économique. Développons un peu ce point.
Le mouvement populaire, et en particulier paysan, remit en question non seulement l’institution de la seigneurie, en se réappropriant les tenures et les biens communaux usurpés par les seigneurs, mais aussi en s’opposant à la concentration de l’exploitation agricole réalisée par les gros fermiers capitalistes.
Par ailleurs, la société était menacée par les transformations de type capitaliste dans le marché des subsistances. La guerre du blé commençait : les gros marchands de grains cherchaient à s’entendre avec les gros producteurs pour substituer aux marchés publics contrôlés par les pouvoirs publics, un marché de gros privé. Ces marchands devenaient capables, dans certains lieux comme les villes, de contrôler l’approvisionnement du marché et d’imposer les prix. La spéculation à la hausse des prix des subsistances fut un des problèmes majeurs de cette époque comme l’ont remarquablement montré les travaux d’Edward Palmer Thompson en particulier.
Les économistes dits libéraux de l’époque soutenaient, avec beaucoup de conviction, que le droit à l’existence et aux subsistances du peuple n’était qu’un préjugé, que, dans le moyen terme, il serait assuré par la liberté indéfinie du commerce des grains qui devait résoudre le problème de la production et de la consommation pour tous, par l’harmonie des intérêts individuels en concurrence.
Or, l’Assemblée constituante se rallia à la politique des économistes dits libéraux, proclama la liberté illimitée de la propriété et vota la loi martiale pour réprimer les résistances populaires. La contradiction qui éclata entre le droit de propriété qui n’est pas universel, et le droit naturel à la vie et à la conservation de l’existence fut exemplaire. Deux conceptions du libéralisme s’affrontèrent. Le libéralisme économique révéla son caractère pseudo libéral en renonçant à l’universalité du droit et en rompant ainsi avec la théorie de la révolution des droits de l’homme et du citoyen. La Constitution de 1791 viola la Déclaration des droits en imposant un suffrage censitaire, qui restreignait le droit de vote aux chefs de famille riches, maintint l’esclavage dans les colonies, au nom de la préservation des propriétés, nous l’avons déjà aperçu avec Barnave, et appliqua la loi martiale provoquant une guerre civile en France et dans les colonies : la grande insurrection des esclaves commença à Saint-Domingue en août 1791, et ne s’arrêta plus jusqu’à l’abolition de l’esclavage et l'indépendance de l'île.

La Révolution du 10 août 1792 renversa cette constitution. Le mouvement démocratique remit la Déclaration des droits à l’ordre du jour et réclama un nouveau droit de l’homme : le droit à l’existence et aux moyens de la conserver. Les droits économiques et sociaux furent une véritable invention de cette période.
La liberté illimitée du droit de propriété et la loi martiale furent abrogées. Un programme d’économie politique populaire, dénommé ainsi à l’époque, s’élabora de 1792 à 94 : le mouvement paysan réalisa une véritable réforme agraire, en récupérant la moitié des terres cultivées et la propriété communale. La seigneurie juridique et politique fut supprimée et la communauté villageoise lui succéda. La politique du Maximum reforma les marchés publics et créa des greniers communaux qui permirent de contrôler les prix et de réajuster prix, salaires, profits.
la prise des Tuileries, le 10 août 1792, ou l'amorce d'une seconde Révolution




Par ailleurs, la citoyenneté fut pratiquée de façon nouvelle. Le suffrage universel se restreint légalement aux hommes, mais, dans la pratique, de nombreuses assemblées primaires étaient mixtes et offraient le droit de vote aux femmes. Néanmoins les citoyens participaient réellement à la formation de la loi en discutant dans leurs assemblées, en pétitionnant et en manifestant. Citoyens et députés constituaient ensemble le pouvoir législatif, pouvoir suprême, créant une expérience originale d’espace public de réciprocité du droit. Ce qui était la définition même que l’on donnait alors à la république: un espace public allant s’élargissant et permettant aux citoyens, non pas seulement de communiquer, mais de décider, d’agir et de s’instruire.
Cette économie politique populaire inventa une solution originale en subordonnant l’exercice du droit de propriété des biens matériels au droit à la vie et à l’existence, premier droit de l’homme. Le droit à la vie est une propriété de tout être humain, qui passe avant le droit des choses.
Rien de plus libéral au sens fort et authentique du terme que ce programme d’économie politique subsumé sous le droit naturel : l’exercice de la liberté est en effet lié à la nature universelle de l’homme, c’est une qualité réciproque fondée sur l’égalité en droits pour tous reconnue par la loi, tandis que la liberté économique indéfinie n’est pas une liberté civile, mais une liberté antinomique de la liberté politique, destructrice de tout pacte social, donc de toute société politique. C’est alors par antiphrase que l’économie classique se veut politique, à moins de considérer le politique comme nécessairement despotique, ce qui était, il est vrai, le cas des économistes physiocrates, comme des économistes qui firent appel à la loi martiale.
On aperçoit ici que ce libéralisme éthico politique révolutionnaire est proche des préoccupations de Marx lorsqu’il commente la loi relative au vol de bois, ainsi que des critiques qu’il formule sur le droit de propriété dans les déclarations des droits de 1789 et de 1793 dans Sur la question juive, et encore dans sa Critique du droit hégélien, à propos du pouvoir législatif.
Pourtant, le schéma interprétatif de la “révolution bourgeoise” se révèle incapable de prendre en considération cette grande lutte entre les deux conceptions du libéralisme que je viens de rappeler, et se limite à une justification unilatérale du libéralisme économique, révélant son impuissance à saisir cette réalité historique. (...)

Pour conclure, je voudrais simplement rappeler quelques faits qui s’opposent fortement aux résultats que l’on se plait à attribuer aux “révolutions bourgeoises”. Elles auraient, nous dit-on, permis en même temps que l’avènement du capitalisme, celui de la démocratie et des droits de l’homme.
Tout d’abord, faut-il justifier, comme certains le font sans aucun recul critique l’avènement du capitalisme ? En ce qui concerne l’avènement parallèle de la démocratie et des droits de l’homme, permettez-moi de prouver la fausseté de cette affirmation, en ce qui concerne l’histoire française :
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 déclarait des droits naturels attachés à la personne et donc universels. Mais la Constitution de 1791 viola la Déclaration des droits et établit un système censitaire, que l’on appela à l’époque l’aristocratie de la richesse : le droit de suffrage n’était pas ici attaché à la personne, mais à la richesse, c’est-à-dire à des choses. La Révolution du 10 août 1792 renversa cette Constitution de 1791 et la Constitution de 1793 renoua avec les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est-à-dire des droits naturels attachés à la personne. Ce fut entre 1792 et 94 que des institutions démocratiques apparurent : démocratie communale, députés et agents élus de l’exécutif, décentralisation administrative responsabilisée, apparition d’un espace public s’élargissant. Ce processus fut arrêté et réprimé à la suite du 9 thermidor et la Constitution de 1795 supprima les institutions démocratiques et les communes, et établit à nouveau un système censitaire. Au moment où “la bourgeoisie” prenait le pouvoir, elle supprima les institutions démocratiques. Mais elle fit plus, elle rompit avec la théorie de la révolution: en effet, la Constitution de 1795 répudia la philosophie du droit naturel moderne et la conception d’un droit attaché à la personne et réciproque. Voilà qui est important et que l’historiographie affecte encore trop souvent de ne pas comprendre.
Sous le Consulat et l’Empire, Bonaparte, en rétablissant l’esclavage, fit perdre jusqu’à la mémoire de la philosophie du droit naturel moderne et de l’idée même d’une déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En fait de démocratie, il n’y en eut plus en France pendant un siècle. Ce furent les révolutions de 1830, 1848, 1871, qui redéployèrent les idées de démocratie et de droits de l’homme, et imposèrent la stabilisation du suffrage universel masculin avec la IIIe République. Quant à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, répudiée en 1795, elle ne fit sa réapparition qu’en ... 1946, soit 150 ans après sa déclaration, et à l’issue d’une guerre mondiale effroyable contre le nazisme.
On ne voit pas que démocratie et droits de l’homme soient advenus avec le capitalisme. Ce serait faire croire que la philosophie du droit naturel moderne, théorie de la révolution des droits de l’homme et du citoyen, aurait été l’idéologie des capitalistes, alors qu’elle était l’expression de la conscience critique de la barbarie européenne.

mardi 25 février 2014

La révolution fut-elle bourgeoise ? par Florence Gauthier (1)

(Florence Gauthier est Maître de conférences en histoire moderne à l’Université Paris VII)

La tradition marxiste voit dans les révolutions de la liberté et de l’égalité, qui précédèrent ce que l’on a appelé “la révolution prolétarienne” inaugurée par la Révolution russe, des “révolutions bourgeoises”. On sait que Marx a laissé des éléments d’analyse, qui présentent des moments différents et même contradictoires de sa réflexion, correspondant à l’évolution de ses connaissances et de sa compréhension de la Révolution française. Le schéma interprétatif, dont il sera question ici, a été produit par la tradition marxiste et est, lui-même, une interprétation des analyses laissées par Marx. Toutefois, mon propos n’est pas de reconstituer comment un tel schéma interprétatif a été produit, bien que ce travail reste à faire, il est même urgent, mais, plus précisément de chercher à savoir si ce schéma interprétatif correspond à la réalité historique. Pour situer le problème, je me limiterai à l’exemple de ce que l’on appelle “la Révolution française”. Et je voudrais commencer en rappelant rapidement les souffrances que quelques grands historiens marxistes se sont infligés pour faire cadrer les résultats de leur recherche avec le schéma interprétatif de la “révolution bourgeoise”.
Au début du XXe siècle, on entendait la Révolution française comme “révolution bourgeoise” dans le sens où la direction politique de la révolution serait restée bourgeoise, passant d’une fraction de la bourgeoisie à une autre. Les tâches de cette révolution auraient été accomplies par les coups de bélier portés par le mouvement populaire, considéré comme non-pensant, et se trouvant donc dans l’incapacité d’avoir un quelconque rôle dirigeant.
Toutefois, comme il s’agissait d’une “révolution bourgeoise”, on rechercha l’existence d’un embryon de “prolétariat”. Et l’on interpréta alors la présence des Enragés, des Hébertistes, des Babouvistes, comme de petits groupes “communistes”, esquisse du mouvement futur, celui de la “révolution prolétarienne”.
Cette interprétation est présente chez Jaurès, dans son Histoire socialiste de la Révolution française. L’ouvrage dépasse d’ailleurs ce schéma interprétatif, grâce à la publication de très nombreux documents, parfois in extenso, qui laissent entendre les voix multiples des révolutionnaires, et qui contredisent bien souvent le schéma interprétatif.
Toutefois, Albert Mathiez réagit à cette interprétation marxiste d’une révolution “bourgeoise”, qui rendait l’évènement incompréhensible, et qu’il nomma une “sottise énorme” répétée par de “dociles écoliers”.
Albert Mathiez (1874-1932)

Ce fut à la suite de la publication des grandes monographies fondées en érudition et consacrées pour la première fois aux mouvements populaires menées par Georges Lefebvre et ses élèves, Richard Cobb, George Rudé
, Albert Soboul, Kare Tonnesson, que le schéma interprétatif de la “révolution bourgeoise” éclata. Lefebvre mit en lumière la présence d’une révolution paysanne autonome dans ses expressions, ses modes d’organisation et d’action. Ses élèves firent un travail de même ampleur dans les villes en mettant en lumière la révolution sans-culotte. Le peuple retrouva alors son nom et sa dignité révolutionnaire. Ce fut le glas de la “révolution bourgeoise”. La thèse de Soboul fit scandale en découvrant ce que l’historiographie actuellement dominante tente à toute force de dissimuler : la démocratie communale, vivante, inventeuse de formes de vie politique et sociale nouvelles s’appuyant sur la citoyenneté et la souveraineté populaire, créant un espace public démocratique, se nourrissant des droits de l’homme et du citoyen et inventant même, de concert avec la révolution paysanne, un nouveau droit de l’homme : le droit à l’existence et aux moyens de la conserver. Bref, la découverte d’un véritable continent historique, méconnu jusqu’à ces travaux.
Cependant, Lefebvre puis Soboul tentèrent d’encadrer la révolution populaire autonome dans le schéma dit marxiste de “révolution bourgeoise”. Cela donna alors, de leur part, l’invention historiographique de la “dictature bourgeoise de salut public”, mais ici dirigée contre la révolution autonome populaire. Curieuse invention : contre la démocratie communale, Robespierre et la Montagne auraient mis en place la soi-disant “dictature du gouvernement révolutionnaire”, qui serait une sorte de réaction thermidorienne avant la lettre, et aurait eu pour tâche de briser l’élan démocratique. Cette invention est bizarre et incompréhensible, mais elle a cependant ébranlé le schéma précédent sur plusieurs plans.
Tout d’abord, les Enragés, les Hébertistes et les Babouvistes ne sont plus ici l’expression d’un prolétariat balbutiant, mais ont réintégré leur place dans la révolution populaire autonome. La révolution a ainsi repris une consistance qui lui rend un attrait puissant. Enfin, un doute sérieux s’est installé quant au caractère révolutionnaire de la bourgeoisie, qui, ici, combat la démocratie et les droits de l’homme et du citoyen. Mais de nouveaux doutes surgissent : y-a-t il eu dictature en l’an II ? Seule, la tradition marxiste y a recours. Elle n’existe pas même dans la tradition thermidorienne qui suspectait Robespierre d’aspirer à la tyrannie ! Suspecter n’est pas la même chose qu’affirmer un fait réel. Elle n’existe pas davantage dans l’historiographie démocratique d’Alphonse Aulard et Philippe Sagnac. Elle est décidément une invention de la tradition marxiste. Mais cette erreur, grave, a été reprise sans recul ni critique par l’historiographie dominante actuellement pour étayer sa thèse bien pensante selon laquelle la révolution, ou les révolutions seraient l’antithèse du droit et ne peuvent produire que des dictatures - et de renvoyer à la tradition marxiste pour démonstration.
Par ailleurs, les Robespierristes sont-ils vraiment une fraction de la bourgeoisie ? Albert Mathiez a déjà émis de sérieux doutes à ce sujet. Comment enfin expliquer le 9 thermidor (ndlr: date de la chute de Robespierre) si une réaction anti-populaire était déjà en place ?
Notons encore que Lefebvre et Soboul, par souci de cohérence, ont été contraints, mais avec douleur, de faire passer le libéralisme économique auquel s’opposait le programme économique populaire pour un projet progressiste, et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour une affaire de bourgeois.
L’historiographie actuellement dominante, c’est-à-dire l’école de François Furet (Furet que ses amis du Nouvel Observateur ont surnommé, non sans humour, en octobre 1988 “le roi du bicentenaire”), a tenté de restaurer le schéma interprétatif de la “révolution bourgeoise”, ébranlé comme je viens de le rappeler par Lefebvre et Soboul. L’école de Furet utilise le schéma de la “révolution bourgeoise” pour évacuer le mouvement populaire de ses préoccupations, et donc de l’histoire.
François Furet (1927-1997)

On peut lire l’entrée “Barnave” rédigée par F. Furet dans le Dictionnaire critique, pour découvrir cette appropriation du schéma de la “révolution bourgeoise” référé à Marx, tout en l’interprétant différemment. Voyons de plus près : Barnave était au côté gauche en 1789, c’est dire qu’il défendait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il passa au côté droit en 1790 et devint le porte parole, à l’Assemblée, du lobby esclavagiste. Il défendit le maintien de l’esclavage et obtint lors du débat de mai 1791 que la Déclaration des droits ne soit pas appliquée dans les colonies, au nom des intérêts matériels des colons et de l’intérêt national colonialiste. Barnave a clairement rompu avec la théorie de la révolution qui était exprimée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Toutefois, F. Furet ne prend pas en compte cette rupture et présente un Barnave qui serait à la fois l’homme des droits de l’homme et le défenseur du maintien de l’esclavage et du préjugé de couleur. Or, il y a ici une contradiction. F. Furet ne semble pas l’apercevoir. Etait-ce le cas de Barnave lui-même ? Examinons ce point.
Antoine Barnave

Lors du débat sur les colonies, le 11 mai 1791, à la Constituante, Barnave, présenta la Déclaration des droits comme la “terreur”des colons :
J’interpelle ici tous les députés des colonies de dire s’il n’est pas vrai que la terreur, relativement à la déclaration des droits, avait été à son comble dans les colonies, avant le décret du 8 mars, par la très grande imprudence de l’Assemblée nationale d’avoir rendu ce décret trop tard. En conséquence, Barnave proposa une constitution spécifique aux colonies, qui seraient ainsi exclues du champ d’application de la Déclaration des droits. Il demanda le maintien de l’esclavage dans les colonies et justifia le préjugé de couleur : À Saint-Domingue, près de 450 000 esclaves sont contenus par environ 30 000 blancs... il est donc physiquement impossible que le petit nombre des blancs puisse contenir une population aussi considérable d’esclaves, si le moyen moral ne venait à l’appui des moyens physiques. Ce moyen moral est dans l’opinion qui met une distance immense entre l’homme noir et l’homme de couleur, entre l’homme de couleur et l’homme blanc. C’est dans cette opinion qu’est le maintien du régime des colonies et la base de leur tranquillité .
Barnave est bien conscient de la contradiction qui existe entre les principes de la Déclaration des droits et la défense du système colonial esclavagiste et il énonce clairement sa rupture avec les principes. Pourquoi ne pas lui rendre l’hommage dû à son honnêteté intellectuelle et vouloir le faire passer pour ce qu’il ne veut plus être : un défenseur des droits de l’homme ? C’est bien cette question qui mérite d’être posée.
Par ailleurs, Barnave, en passant du côté gauche au côté droit, a théorisé le primat des intérêts réels sur l’énonciation des droits. Il a vu dans la révolution le moment de réajustement du pouvoir politique sur les nouvelles formes de propriété. Cette forme de matérialisme historique propre à Barnave, qui justifie la défense violente de la domination du droit bourgeois de propriété, y compris sur des esclaves, est interprétée par F. Furet comme “une préfiguration de Marx”, qui ouvrirait sur une “filiation intellectuelle avec Marx”, pour reprendre ses expressions.
On peut s’interroger sur cette mise de Marx au service de la justification de la “révolution bourgeoise esclavagiste de Barnave” ! Le schéma interprétatif de la “révolution bourgeoise” se révèle ici, et on ne peut plus clairement, réactionnaire. Et que Marx soit mêlé à cette affaire devrait, pour le moins, surprendre.
On aura par ailleurs noté que ce schéma n’est pas un concept stabilisé, et nous avons vu un échantillonnage de trois définitions différentes, et même contradictoires, se succéder. Il est alors bien difficile d’en faire une “catégorie historique” !
Le schéma interprétatif de la “révolution bourgeoise” s’est peu à peu constitué en préjugé et, comme tel, sa fonction est d’empêcher de penser. Je voudrais maintenant montrer à travers trois exemples significatifs cette fonction du préjugé. 
(à suivre)

lundi 24 février 2014

Marion Sigaut : l'Eglise victime de calomnies ?

 

Toujours aussi manichéen, le propos de Marion Sigaut nous offre néanmoins l'occasion de rappeler la réflexion des Lumières autour de l'idée de souveraineté.
A qui appartient-elle ? A Dieu, qui la délègue au roi et à ses ministres ? Ou bien au peuple, qui accepte de s'en dessaisir au profit d'un monarque ?
La réponse de Rousseau mérite qu'on s'y attarde. Si le Genevois n'est pas le premier à clamer la souveraineté populaire comme source de toute légitimité politique, il ajoute que cette souveraineté est inaliénable et qu'il appartient donc au peuple de l'exercer !
Comment s'y prendra-t-il ? Surtout dans un grand pays tel que la France ? Rousseau n'apporte pas de solution pratique à cette question...
Au moment des événements révolutionnaires, bon nombre de démocrates se réclamaient de Rousseau. Dépositaires du pouvoir, ils étaient pourtant condamnés à trahir leur père spirituel...

vendredi 21 février 2014

Mémoires du Marquis d'Argenson (4)


Etrangement méconnue, l'oeuvre littéraire du Marquis d'Argenson (1694-1757) révèle pourtant un regard lucide sur la situation politique et économique du Royaume de France.
Les quelques extraits que je reproduis ci-dessous datent tous de l'année 1754.

Février 1754
— Je viens de lire une nouvelle brochure ayant pour titre Essai sur la police générale des grains (ndlr : ouvrage du physiocrate C.J Herbert, qui annonçait les expériences libérales des années 1760-1770). On y propose de laisser ce commerce tout à fait libre, et l'on montre que par là on aurait en tout temps autant de blé qu'il en faudrait, même dans les années les plus stériles. Enfin j'ai donc lu un ouvrage dans mon goût, par où la liberté parfaite du commerce produirait la meilleure police, en suivant le livre que j'ai fait: Pour gouverner mieux, il faudrait gouverner moins. Mais quand suivra-t-on ce système? Peut-être jamais, dans l'aveuglement où est le règne, et la séduction des bons par les méchants.
 
les classes sociales vues par les physiocrates

15 avril 1754
— Le roi est plongé plus que jamais dans l'amour volage. Il a plusieurs petites grisettes à la fois, et ne suit ni la nature ni la raison. Tout ce qui l'entoure a corrompu chez lui le bon naturel. M. le Dauphin et le reste de la famille royale sont abîmés dans l'assujettissement aux prêtres, ce qui fait désespérer du royaume de France.

Avril 1754
— Longchamps. On n'avait point encore remarqué comme à ces derniers trois jours de ténèbres le triomphe de la débauche. Les filles et femmes entretenues y ont arboré des carrosses et livrées magnifiques, des parures de diamants, et tout cet extérieur surpassait celui des femmes du plus haut rang. La mode a changé sur cela en France, et jamais on n'a poussé plus loin la magnificence de la débauche. Autrefois on donnait un entretien modique à sa maîtresse; aujourd'hui elles demandent des rentes et des diamants. A mesure que la noblesse diminue en revenus, elle augmente en magnificence de luxe, tables, maisons, ajustements, boîtes et maîtresses.

19 mai 1754.
— Les fermiers généraux ayant représenté à M. de Machault (ndlr: contrôleur général des finance de Louis XV) que nos fabriques tombent, et que les étrangers fabriquent nos matières premières, il a répondu : « Tant mieux,ce sont autant de bras qui retournent à l'agriculture. » Je doute qu'il ait entendu lui-même tout le grand sens de la réponse, car il corrige M. Colbert. Celui-ci, grand quant à l'exécution, nuisible à la patrie par ses vues, a commencé à faire quitter la campagne pour les villes, et la terre pour les arts de luxe et de la mollesse. Il a été le premier ministre de la finance, très-puissant et grand courtisan. Il a tout rapporté au brillant de la cour, tout au maître, au préjudice des sujets. Je veux croire qu'il s'est trompé noblement et sans malice...

26 décembre
— Dans huit jours on déclarera la nouvelle loterie destinée à la construction d'un nouvel hôtel de ville, de la place Louis XV, et autres embellissements de Paris. On copie la méthode semblable dont on use à Rome, à Gènes et autres villes d'Italie. On ne m'a pas caché qu'on ne donnerait pas au public autant de lots que serait le produit des billets. Les billets seront à toute sorte de prix, de 12 sous à 600 livres. On ne tirera que tous les trois mois. C'est le sieur Duvernay (ndlr : Il s'agit de Joseph Pâris, grand financier du XVIIIè siècle) qui conduit cette nouvelle machine : grand sujet de méfiance!
la loterie royale

 

mercredi 19 février 2014

Mémoires du Marquis d'Argenson (3)

Etrangement méconnue, l'oeuvre littéraire du Marquis d'Argenson (1694-1757) révèle pourtant un regard lucide sur la situation politique et économique du Royaume de France.

Les quelques extraits que je reproduis ci-dessous datent tous de l'année 1753.
On y découvrira que Rousseau était déjà fort mal en cour en cette année 1753, que Voltaire était pour sa part fort mal en point à la fin de son séjour auprès de Frédéric de Prusse, et que les Jésuites étaient quant à eux fort habiles pour s'insinuer auprès de nos gouvernants !


Mars 1753.

On continue d'envoyer aux galères tous les calvinistes qui s'enfuient, et dans un des derniers conseils le roi a dit qu'il fallait pendre tous les ministres qu'on prendrait. Le maréchal de Richelieu et le garde des sceaux penchaient pour le tolérantisme; mais ils ont scandalisé les évêques rigoristes et consciencieux. Ceux-ci veulent des abjurations formelles avant de mourir, ou de baptiser les suspects d'hérésie. Il y a des assemblées nocturnes, et le maréchal de Richelieu demande des troupes. Ah! que l'on est loin du but sur cela! Le roi ne devrait jamais consulter le clergé sur une pareille conduite (...)

Avril 1853

Jean Jacques Rousseau, de Genève, auteur agréable, mais se piquant de philosophie, a dit que les gens de lettres doivent faire trois vœux : Pauvreté, liberté, vérité. Cela a indisposé le gouvernement contre lui. Il a témoigné ses sentiments dans quelques préfaces; sur cela, on a parlé de lui dans les cabinets, et le roi a dit qu'il ferait bien de le faire renfermer à Bicêtre; S.A. S. le comte de Clermont a encore ajouté que ce serait bien fait de l'y faire étriller. L'on craint ces sortes de philosophes libres. Mon ami d'Alembert est dans ce cas, et menacé de repréhension par nos inquisiteurs d'État. Les jésuites sont les plus grands instigateurs de ce système. (ndlr : en l'occurrence, c'est d'Alembert qui était l'auteur de la formule : Pauvreté, liberté, vérité, dans son Essai sur les gens de lettres)

Juin 1753

La marquise de Pompadour avait donné parole à Piron pour la première place vacante à l'Académie française; à présent le roi la lui refuse. L'ancien évêque de Mirepoix a montré au roi l'Ode à Priape, œuvre de la jeunesse de Piron, et c'est ce qui a motivé cette exclusion.
Buffon et d'Alembert se retirent de la place vacante, pour ne pas encourir à leur tour quelque note infamante de ce genre; le premier ayant contredit la Genèse. Il ne reste que des plats pieds à élire. Je sais encore Bougainville, qui est soupçonné d'être janséniste; Condillac, métaphysicien, qui a trop parlé de l'âme. Cette exclusion à tous propos est une indiscrétion de souveraineté. Le feu roi ne l'a employée qu'une fois dans sa vie.
Plus les prêtres sont haïs, plus ils travaillent à se rendre haïssables.

8 août

L'on refuse au poète Voltaire la permission de rentrer en France. On cherche par ce petit article à plaire au roi de Prusse, en lui déplaisant comme on fait pour les choses principales.
(...)  Il paraît un libelle intitulé : Vie privée du roi de Prusse. On soupçonne avec raison Voltaire de l'avoir composé, dans un style où l'on ne peut le reconnaître. Ce grand poète prend tous les styles qu'il veut, et la passion de la satire lui fait prendre ceux qui peuvent le mieux nuire à ceux qu'il hait. Cette peinture du roi de Prusse est la plus propre à le faire mépriser en France : on le peint comme économe. Le voilà perdu pour nos François. Notre roi est le plus séduit de tous pour ce qui peut être susceptible de ridicule. Né vertueux, ce qui l'entoure l'a porté à de mauvaises démarches, et l'a éloigné des actions vertueuses et des bons choix, par cette crainte du ridicule et cette recherche du bon air. Il est à craindre que le roi de Prusse ne nous en veuille pour ce libelle, qui se vend à très-bon marché dans les promenades.
Frédéric et Voltaire (avant leur brouille)
15 novembre 1753

Je dis que voilà mon frère (ndlr : il s'agit du Comte d'Argenson, qui était alors ministre d'Etat) qui l'emporte sur ses rivaux en faisant triompher absolument la domination sacerdotale, c'est-à-dire celle des jésuites, et l'intrigue assidue et universelle. De tout temps, et depuis la bigoterie du feu roi, les jésuites ont eu un principal émissaire, ministre ou assistant des ministres, qui y a fait valoir la direction de la société. Tels furent les deux fameux confesseurs de Louis XIV, les Pères Lachaise et Letellier. Sous la régence du duc d'Orléans, le besoin de Rome, la crainte du clergé, et le mépris qu'avait ce prince pour l'ordre, pour la justice et la véritable religion de Dieu. Sous le cardinal de Fleury, ce fut un petit M. Hérault, vil atome de Loyola, qui, avec quelque sorte d'éloquence, insinuait à ce vieux prêtre la crainte et l'espérance de la bulle Unigenitus, et lui faisoit valoir comme actions dangereuses de haine les moindres reproches des jansénistes indépendants.
Observons qu'à chaque changement d'homme qui arrive au gouvernail, il vient déprévenu et ami de l'impartialité; mais bientôt les apôtres du jésuitisme lui tournent la tête et l'esprit par leurs insinuations obséquieuses et menaçantes.

Décembre 1753

Il y a grand bruit contre JJ Rousseau, prétendu philosophe genevois, pour une brochure qu'il a publiée contre la musique française, en prétendant qu'elle n'existait pas, et qu'il était à souhaiter qu'il n'y en eût jamais. Les preuves consistent dans un grand et pédantesque étalage de science musicale, pour établir que ce qui charme est mauvais, et ce qui écorche est bon. On avait expédié une lettre de cachet pour le faire sortir du royaume; mais de tristes articles en ont détourné. On lui a toujours ôté ses entrées à l'Opéra. Ayant été reconnu à l'Opéra, il a été maltraité de paroles et de coups de pied au cul ; l'orchestre l'a pendu en effigie. Cela devint une querelle nationale. On a déjà répondu à sa brochure par une autre fort courte; on travaille à une réponse plus étendue.

lundi 17 février 2014

Marion Sigaut : l'Eglise victime d'une entreprise de calomnie ?.

  



Marion Sigaut connaît bien Voltaire. Elle l'a tant lu, tant étudié, tant disséqué qu'elle use aujourd'hui des mêmes mensonges et des mêmes boniments pour réécrire l'histoire du XVIIIè.  
Passons rapidement sur l'expression "jansénistes laïcs" qu'elle emploie fréquemment pour désigner les magistrats des Parlements. Passons également sur la prétendue complicité (!!!) entre jansénistes et philosophes, soi-disant alliés dans leur combat contre l'Eglise et les Jésuites...
Passons enfin sur la "campagne de calomnie" initiée par Voltaire, parfaitement réelle celle-là, mais dont Marion Sigaut feint de ne pas comprendre la finalité.
Car au-delà de ses mensonges, le patriarche de Ferney n'a jamais eu d'autre objectif que de laïciser la justice, d'en extirper les fondements théologiques, de la débarrasser de tout ce fatras religieux qui transformait un péché en délit passible de mort.
"Peux-tu me donner un crime de l'Eglise ?", nous demande habilement Marion Sigaut. En voici quelques-uns, Madame, que l'Eglise n'a sans doute pas commis, mais qu'elle a délégués à son principal bras armé : la justice d'Ancien Régime...

 Extraits du Traité de la justice criminelle (1771) 
 
 "La peine du feu... n'a lieu que pour les crimes de magie, blasphèmes exécrables, hérésie..."

"La langue coupée ou percée... Cette peine se prononce contre les blasphémateurs du Saint nom de Dieu, de la Sainte Vierge, et de Saints, lorsque les coupables sont tombés plusieurs fois dans le même crime"

"La lèvre coupée ou fendue...  C'est aussi une peine qui se prononce contre les blasphémateurs..."

"Le poing coupé ou brûlé... a ordinairement lieu dans le crime de sacrilège énorme ; de profanation des Saintes Hosties et des vases sacrés..."

"Amende honorable... est celle qui se fait par l'accusé, à genoux, avec une torche à la main, nu en chemise et quelquefois avec la corde au cou devant la porte du Palais... ou de la principale église du lieu"
                                                           -----------------------

"Arrêt rendu en la chambre de l'Edit de Rouen le 23 juin 1695, par lequel le nomme Pierre Vigier, de la religion prétendue Réformée, pour avoir blasphémé contre la Sainte Vierge, a été condamné à faire amende honorable, et en cinq cents livres d'amende"

"Autre arrêt du 20 mars 1720, par lequel les nommés Barnard Malmolesse et Philippe Basse de Bellica ont été condamnés a avoir la langue coupée et à être brûlés vifs, pour blasphèmes exécrables."

"Autre arrêt de la Cour du 29 juillet 1748... par lequel Nicolas Dufour, pour avoir proféré plusieurs horribles et exécrables blasphèmes contre le Saint nom de Dieu, la Sainte Eucharistie et la Sainte Vierge, a été condamné à faire amende honorable nu en chemise et la corde au col, ayant écriteaux devant et derrière, portant ces mots, blasphémateur du Saint Nom de Dieu..., et ensuite à avoir la langue coupée et à être pendu, et son corps brûlé et réduit en cendres."
le supplice de La Barre
 

samedi 15 février 2014

Mémoires du Marquis d'Argenson (2)

Etrangement méconnue, l'oeuvre littéraire du Marquis d'Argenson (1694-1757) révèle pourtant un regard lucide sur la situation politique et économique du Royaume de France.
Les quelques extraits que je reproduis ci-dessous datent tous de l'année 1752.

   5 février 1752
Le journal de Trévoux (1), de ce mois, tombe sur le nouveau tome du dictionnaire qui paraît, et relève plusieurs choses contraires à notre religion surnaturelle. Effectivement, il y a à la tête de cet ouvrage un M. Diderot, qui a beaucoup d'esprit, mais qui affecte trop l'irréligion. Cette secte est principalement indignée des maux que cause la religion, pour le peu de bien qu'elle procure. Il faut voir sur cela le zèle affecté de nos pauvres jansénistes, qui voudraient ravir aux jésuites l'honneur de haïr encore davantage le matérialisme. Ils craignent que quelque chose de l'accusation ne retombe sur eux, et ils outrent cette haine affectée.
(1) périodique de critique littéraire et scientifique fondé par les Jésuites
11 février 1752. 
 L'Encyclopédie ne se débite plus. On a arrêté les exemplaires jusqu'à ce qu'on y ait mis des cartons. Les auteurs principaux sont menacés d'exil ou de prison.

L'on vient d'exiler l'abbé de Prades, auteur de la fameuse thèse, et l'abbé Yvon, à cause qu'il était son ami. L'inquisition se perfectionne en France. Les jésuites, grands inquisiteurs du royaume, grossissent les matériaux de leur tribunal de tout ce que les autres dévots ont éventé et fait lever. Tel qui n'était accusé que de jansénisme, va bien mieux être accusé d'irréligion. Les jésuites seront censeurs, délateurs, accusateurs et juges.
 
le dictionnaire des Jésuites, principal concurrent de l'Encyclopédie en 1752
12 février 1752.
Il y a des lettres de cachet expédiées contre les abbés de Prades (1) et Yvon, qui ont été cachés chez mon curé, à Saint-Sulpice de Favières. On dit qu'il y en a aussi contre le sieur Diderot, principal auteur de l'Encyclopédie. Malheur aux ennemis des jésuites ! L'inquisition française augmente d'étendue et de pouvoir ; la bigoterie courtisane va lui donner une autre consistance.

Malheur aux honnêtes gens paisibles, sains de cœur et d'esprit, mais qui ne maîtrisent pas assez bien leur langue sur la philosophie et la liberté !
 (1) Collaborateur de l'Encyclopédie, il fut accusé d'impiété par les Jansénistes.

 13 février 1752.
 De ce matin paraît un arrêt du conseil que l'on n'avait pas prévu. Il supprime le Dictionnaire encyclopédique, avec des qualifications épouvantables, telles que de révolte à Dieu et à l'autorité royale, corrupteur des mœurs, etc., le tout débité en des termes obscurs et entortillés. L'on dit sur cela que les auteurs du Dictionnaire, dont il n'a encore paru que deux volumes, doivent donc être suppliciés incessamment, et que l'on ne peut s'empêcher de les poursuivre et faire informer contre eux. Il s'ensuivra la perte de quantité de gens de lettres très précieux à la France, et dont s'enrichiront nos voisins envieux. Mais ce qui s'ensuit encore davantage, c'est l'établissement d'une véritable inquisition en France, inquisition dont les jésuites se chargent avec joie, qu'ils recherchent depuis longtemps et exécuteront avec rigueur. Mais sur cela, ajoute-t-on, le plus vilain rôle est encore celui des jansénistes, qui ne veulent de tolérance que pour eux seuls, et, s'ils obtenaient cette charge d'inquisiteurs, ils seroient encore plus intolérants que les jésuites.

2 3 février 1752. 
L'État de nos finances est fort triste. On mange d'avance toute l'année 1752. Un de mes amis a vu hier un receveur général signer des billets pour octobre 1754, recouvrements sur les taillables qui ne s'effectueront pas de trois années d'ici.

Le roi se montre fort triste de cet état affreux des finances ; il y fait des réflexions plus lamentables que profondes. Mais quel remède efficace ? Aucun. Laissant toujours en place les mêmes causes de maux, et ne retranchant rien d'important, petits remèdes à de grands abus, tout va à une banqueroute universelle. Voici ce que je concevrais pour y remédier, au moins les summa capita:

Projet pour rétablir l'État.

Nota. Il faut des remèdes extrêmes, qu'on s'y attende; rejeter les petits palliatifs, quelques cessations, quelques légers retranchements.

- Changer le ministre de la finance, ôter toute connaissance des affaires à la favorite.

- Que la cour réside à Paris, comme sous Henri IV. Se passer de toutes les superfluités de luxe introduites de nos jours. C'est en résidant à Paris que l'on gagnerait l'amour des François. (...)
- Suspendre provisoirement tout service dispendieux; que le roi se bornât au service essentiel : quelques voyages à la campagne, comme chasseur, comme particulier, avec quelques amis.

- Retrancher de moitié les dépenses de l'extraordinaire des guerres.

- Arrêt pour renvoyer de Paris tous les habitants riches qui n'y ont que faire, surtout les compagnies de financiers.
 
la Pompadour

7 mai 1712. 
Madame de Pompadour et quelques ministres font solliciter d'Alembert et Diderot de se redonner au travail de l'Encyclopédie , en observant une réserve nécessaire en tout ce qui touche la religion et l'autorité. J'en ai conféré avec d'Alembert, et il m'a démontré l'impossibilité qu'il y a pour les savants d'écrire sur quoi que ce soit, s'ils ne peuvent écrire librement. La philosophie conduit à de grands progrès en métaphysique et en religion, et en législation ou gouvernement. Les Anglais, et ceux qui écrivent aujourd'hui dans les États du roi de Prusse, font imprimer tout ce qu'ils veulent. Les découvertes en tous genres éclairent le monde, en parvenant aux François qui sont vifs et pénétrants de leur naturel, et qui vont peut-être plus loin que les autres, quoique avec moins de moyens de communication. Il en résulte que nos savants philosophes de premier ordre voudraient écrire en pleine liberté, ou point, de peur de donner dans les lieux communs ou les capucinades. C'est par là que l'on m'a démontré impossible aujourd'hui ce qui se passait ci-devant. De plus, il est arrivé que le gouvernement, effrayé par les dévots, est devenu plus censeur, plus inquisiteur, plus minutieux sur les matières philosophiques. On ne tolérerait même plus aujourd'hui les ouvrages philosophiques de l'abbé de Condillac, permis il y a quelques années. Je me suis rendu à ces raisons. (à suivre)

mercredi 12 février 2014

Marion Sigaut sur le plan d'éducation nationale de Lepeletier (2)



l'intervention de Marion Sigaut

Comme l'explique admirablement François Furet dans la Révolution Française, c'est en réalité sous Thermidor puis sous le Directoire que notre système éducatif va être recréé. Le plan du Montagnard Le Peletier, présenté par Marion Sigaut comme LA référence absolue des Républicains, fut en réalité très vivement contesté par les Révolutionnaires eux-mêmes, et ce dès 1793.
En octobre 1795, c'est donc la loi Daunou qui pose les principes sur lesquels le Directoire va déployer ce système d'éducation et d'instruction publique.
Pierre Daunou

Dans les faits, le primaire y apparaît largement sacrifié, et on ne fait plus mention (comme c'était le cas en 93) d'une quelconque obligation scolaire. "On enseignera à lire, à écrire, à calculer", on y découvrira la "morale républicaine", explique Daunou de manière très laconique. La loi précise qu'il y aura une ou plusieurs écoles par canton, sans en préciser le nombre. L'enseignement n'est plus gratuit, comme l'exigeait la Convention. L'instituteur sera rémunéré grâce à une rétribution versée par les élèves, certains d'entre eux pouvant être exemptés pour "cause d'indigence". La tâche de créer ces écoles incombe aux municipalités et non à l'Etat. La liberté d'éducation étant inscrite dans la constitution, on verra bientôt apparaître une instruction parallèle, confiée à d'anciens prêtres réfractaires devenus concurrents de l'instituteur public.

Les thermidoriens vont consacrer davantage d'intérêt au secondaire, avec la création d'écoles centrales (une par département, ce qui est relativement modeste), constituées en trois niveaux D'abord le dessin, l'histoire naturelle, les langues (12 à 14 ans) ; puis, les sciences (14 à 16 ans) ; enfin, la grammaire générale, les lettres, l'histoire, la législation). De toute évidence, l'esprit révolutionnaire souffle sur ces programmes puisque la laïcité, les sciences et la suprématie du français sur les langues anciennes y seront nettement soulignées. Par rapport aux écoles d'Ancien Régime, la fréquentation apparaît cependant en nette diminution.

Dominant l'édifice des connaissances, l'Institut constitue enfin le pouvoir spirituel de ce nouveau régime. C'est lui qui donne vie à tous ces établissements supérieurs aujourd'hui prestigieux: le conservatoire des Arts et Métiers, l'Ecole des services publics pour l'Armée, la Marine, les Ponts-Et-Chaussées (notre Polytechnique !), les écoles de médecine de Lyon, Paris, Montpellier, l'Ecole Normale Supérieure, l'Ecole des langues orientales...
Cette loi Daunou restera en vigueur jusqu'en 1802.
Bonne ou mauvaise, et quoi qu'en dise Marion Sigaut, voilà donc l'école dont a hérité la France Révolutionnaire. De celle-là, et de nulle autre...


 Vous trouverez ci-dessous le texte de loi présenté par Daunou
« Loi SUR L'ORGANISATION DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
« TITRE Ier. — Ecoles primaires.
« ARTICLE PREMIER. — Il sera établi dans chaque canton de la République une ou plusieurs écoles primaires, dont les arrondissements seront déterminés par les administrations de département.
« ART. 2. — Il sera établi clans chaque département plusieurs jurys d'instruction ; le nombre de ces jurys sera de dix au plus, et chacun sera composé de trois membres nommés par l'administration départementale.
« ART. 3. — Les instituteurs primaires seront examinés par l'un des jurys d'instruction : et, sur la présentation des administrations municipales, ils seront nommés par les administrations de département.
« ART. 4. — Ils ne pourront être destitués que par le concours des mêmes administrations, de l'avis d'un jury d'instruction, et après avoir été entendus.
« ART. 5. — Dans chaque école primaire on enseignera à lire, à écrire, à calculer, et les éléments de la morale républicaine.
« ART. 6. — Il sera fourni par la République, à chaque instituteur primaire, un local, tant pour lui servir de logement que pour recevoir les élèves pendant la durée des leçons.
« Il sera également fourni à chaque instituteur le jardin qui se trouverait attenant à ce local.
« Lorsque les administrations de département le jugeront plus convenable, il sera alloué à l'instituteur une somme annuelle, pour lui tenir lieu du logement et du jardin susdits.
« ART. 7. — Ils pourront, ainsi que les professeurs des écoles centrales et spéciales, cumuler traitements et pensions.
« ART. 8. — Les instituteurs primaires recevront de chacun de leurs élèves une rétribution annuelle qui sera fixée par l'administration de département.
« ART. 9. — L'administration municipale pourra exempter de cette rétribution un quart des élèves de chaque école primaire, pour cause d'indigence.
« ART. 10. — Les règlements relatifs au régime des écoles primaires seront arrêtés par les administrations de département, et soumis à l'approbation du Directoire exécutif.
« ART. 11. — Les administrations municipales surveilleront immédiatement les écoles primaires, et y maintiendront l'exécution des lois et des arrêtés des administrations supérieures. 
« TITRE II. — Ecoles centrales.
« ARTICLE PREMIER. — Il sera établi une école centrale dans chaque département de la République.'
« ART. 2. — L'enseignement y sera divisé en trois sections :
« Il y aura dans la première section :
« 1° Un professeur de dessin ;
« 2° Un professeur d'histoire naturelle ;
« 3° Un professeur de langues anciennes ;
« 4° Un professeur de langues vivantes, lorsque les administrations de département le jugeront convenable, et qu'elles auront obtenu à cet égard l'autorisation du Corps législatif.
« Il y aura dans la deuxième section :
« 1° Un professeur d'éléments de mathématiques ;
« 2° Un professeur de physique et de chimie expérimentales.
« Il y aura dans la troisième section :
« 1° Un professeur de grammaire générale ;
« 2° Un professeur de belles-lettres ;
« 3° Un professeur d'histoire ;
« 4° Un professeur de législation.
« ART. 3. — Les élèves ne seront admis aux cours de la première section qu'après l'âge de douze ans ;
« Aux cours de la seconde, qu'à l'âge de quatorze ans accomplis ;
« Aux cours de la troisième, qu'à l'âge de seize ans au moins.
« ART. 4. — Il y aura près de chaque école centrale une bibliothèque publique, un jardin et un cabinet d'histoire naturelle, un cabinet de chimie et physique expérimentale.
« ART. 5. — Les professeurs des écoles centrales seront examinés et élus par un jury d'instruction. Les élections faites par le jury seront soumises à l'approbation de l'administration du département.
« ART. 6. — Les professeurs des écoles centrales ne pourront être destitués que par un arrêté des mêmes administrations, de l'avis du jury d'instruction, et après avoir été entendus. L'arrêté de destitution n'aura son effet qu'après avoir été confirmé par le Directoire exécutif.
« ART. 7. — Le salaire annuel et fixe de chaque professeur est le même que celui d'un administrateur de département. Il sera de plus réparti entre les professeurs le produit d'une rétribution annuelle, qui sera déterminée par l'administration de département, mais qui ne pourra excéder vingt-cinq livres pour chaque élève.
« ART. 8. — Pourra néanmoins l'administration de département excepter de cette rétribution un quart des élèves de chaque section, pour cause d'indigence.
« ART. 9. — Les autres règlements relatifs aux écoles centrales seront arrêtés par les administrations de département, et confirmés par le Directoire exécutif.
« ART. 10. — Les communes qui possédaient des établissements d'instruction connus sous le nom de collèges, et dans lesquelles il ne sera pas placé d'école centrale, pourront conserver les locaux qui étaient affectés auxdits collèges, pour y organiser à leurs frais des écoles centrales supplémentaires.
« ART. 11. — Sur la demande des citoyens desdites communes, et sur les plans proposés par leurs administrations municipales, et approuvés par les administrateurs de département, l'organisation des écoles centrales supplémentaires, et les modes de la contribution nécessaire à leur entretien, seront décrétés par le Corps législatif.
« ART. 12. — L'organisation des écoles centrales supplémentaires sera rapprochée, autant que les localités le permettront, du plan commun des écoles centrales instituées par la présente loi.
« TITRE III. — Des écoles spéciales.
« ARTICLE PREMIER. — II y aura dans la République des écoles spécialement destinées à l'étude : 1° De l'astronomie ; 2° De la géométrie et de la mécanique ; 3° De l'histoire naturelle ; 4° De la médecine ; 5° De l'art vétérinaire ; 6° De l'économie rurale ; 7° Des antiquités ; 8° Des sciences politiques ; 9° De la peinture, de la sculpture et de l'architecture ; 10° De la musique.
« ART. 2. — Il y aura de plus des écoles pour les sourds-muets et pour les aveugles-nés.
« ART. 3. — Le nombre et l'organisation de chacune de ces écoles seront déterminés par des lois particulières, sur le rapport du Comité d'instruction publique.
« ART. 4. — Ne sont point comprises parmi les écoles mentionnées dans l'article 1er du présent titre, les écoles relatives à l'artillerie, au génie militaire et civil, à la marine et aux autres services publics, lesquelles seront maintenues telles qu'elles existent, ou établies par des décrets particuliers.
« TITRE IV. — Institut national des sciences et des arts.
« ARTICLE PREMIER. — L'Institut national des sciences et des arts appartient à toute la République ; il est fixé à Paris ; il est destiné : 1° à perfectionner les sciences et les arts par des recherches non interrompues, par la publication des découvertes, par la correspondance avec les sociétés savantes étrangères ; 2° à suivre, conformément aux lois et arrêtés du Directoire exécutif, les travaux scientifiques et littéraires qui auront pour objet l'utilité générale et la gloire de la République.
« ART. 2. — Il est composé de membres résidant à Paris, et d'un égal nombre d'associés répandus dans les différentes parties de la République. 11 s'associe des savants étrangers, dont le nombre est de vingt-quatre, huit pour chacune des trois classes.
« ART. 3. — Il est divisé en trois classes, et chaque classe en plusieurs sections, conformément au tableau suivant. »
(Pour ce tableau, et pour le texte des neuf autres articles du titre IV, qui traitent de l'organisation intérieure de l'Institut, Voir l'article Institut national.)
« TITRE V, — Encouragements, récompenses et honneurs publics.
« ARTICLE PREMIER. — L'Institut national nommera tous les ans, au concours, vingt citoyens, qui seront chargés de voyager et de faire des observations relatives à l'agriculture, tant dans les départements de la République que dans les pays étrangers.
« ART. 2. — Ne pourront être admis au concours mentionné dans l'article précédent que ceux qui réuniront les conditions suivantes: 1° être âgé de vingt-cinq ans au moins ; 2° être propriétaire ou fils de propriétaire d'un domaine rural formant un corps d'exploitation, ou fermier ou fils de fermier d'un corps de ferme d'une ou de plusieurs charrues, par bail de trente ans au moins ; 3° savoir la théorie et la pratique des principales opérations de l'agriculture ; 4° avoir des connaissances en arithmétique, en géométrie élémentaire, en économie politique, en histoire naturelle en général, mais particulièrement en botanique et en minéralogie.
« ART. 3. — Les citoyens nommés par l'Institut national voyageront pendant trois ans aux frais de la République, et moyennant un traitement que le Corps législatif déterminera.
« Ils tiendront un journal de leurs observations, correspondront avec l'Institut, et lui enverront, tous les trois mois, les résultats de leurs travaux, qui seront rendus publics. « Les sujets nommés seront successivement pris dans chacun des départements de la République.
« ART. 4. — L'Institut national nommera tous les ans six de ses membres pour voyager, soit ensemble, soit séparément, pour faire des recherches sur les diverses branches des connaissances humaines autres que l'agriculture.
« ART. 5. — Le palais national à Rome, destiné jusqu'ici à des élèves français de peinture, sculpture et architecture, conservera cette destination.
« ART. 6. — Cet établissement sera dirigé par un peintre français ayant séjourné en Italie, lequel sera nommé par le Directoire exécutif pour six ans.
« ART. 7. — Les artistes français désignés à cet effet par l'Institut, et nommés par le Directoire exécutif, seront envoyés à Rome. Ils y résideront cinq ans dans le palais national, où ils seront logés et nourris aux frais de la République, comme par le passé ; ils seront indemnisés de leurs frais de voyage.
« ART. 8. — La section accorde à vingt élèves clans chacune des écoles mentionnées dans les titres II et III de la présente loi des pensions temporaires, dont le maximum sera déterminé chaque année par le Corps législatif.
« Les élèves auxquels ces pensions devront être appliquées seront nommés par le Directoire exécutif, sur la présentation des professeurs et des administrations de département.
« ART. 9. — Les instituteurs et professeurs publics établis par la présente loi, qui auront rempli leurs fonctions durant vingt-cinq années, recevront une pension de retraite égale à leur traitement fixe.
« ART. 10. — L'Institut national, dans ses séances publiques, distribuera chaque année plusieurs prix.
« ART. 11. — Il sera, dans les fêtes publiques, décerné des récompenses aux élèves qui se seront distingués dans les écoles nationales.
« ART. 12. — Des récompenses seront également décernées, dans les mêmes fêles, aux inventions et découvertes utiles, aux succès distingués dans les arts, aux belles actions, et à la pratique constante des vertus domestiques et sociales.
« ART. 13. — Le Corps législatif décerne les honneurs du Panthéon aux grands hommes dix ans après leur mort.
TITRE VI. — Des fêtes nationales.
« ARTICLE PREMIER. — Dans chaque canton de la République, il sera célébré, chaque année, sept fêtes nationales, savoir :
« Celle de la Fondation de la République, le 1er vendémiaire ;
« Celle de la Jeunesse, le 10 germinal ;
« Celle des Epoux, le 10 floréal ; « Celle de la Reconnaissance, le 10 prairial ;
« Celle de l'Agriculture, le 10 messidor ;
« Celle de la Liberté, les 9 et 10 thermidor ;
« Celle des Vieillards, le 40 fructidor.
« ART. 2. — La célébration des fêtes nationales de canton consiste: en chants patriotiques ; en discours sur la morale du citoyen ; en banquets fraternels: en divers jeux publics propres à chaque localité ; et dans la distribution des récompenses.
« ART. 3. — L'ordonnance des fêtes nationales en chaque canton est arrêtée et annoncée à l'avance par les administrations municipales.
« ART. 4. — Le Corps législatif décrète, chaque année, deux mois à l'avance, l'ordre et le mode suivant lesquels la fête du 1" vendémiaire doit être célébrée dans la commune où il réside. »
Après le vote de ce décret la Convention vota un décret relatif aux écoles de filles, ainsi conçu :
« ARTICLE PREMIER. — Chaque école primaire sera divisée en deux sections, une pour les garçons, l'autre pour les filles. En conséquence, il y aura un instituteur et une institutrice.
« ART. 2. — Les filles apprendront à lire, écrire, compter, les éléments de la morale républicaine ; elles seront formées aux travaux manuels de différentes espèces utiles et communes. »
Enfin rassemblée vota encore un décret relatif au placement des écoles centrales. Ce décret modifiait, dans douze départements, le siège de l'école ; il confirmait l'installation de cinq écoles centrales à Paris ; et il stipulait que, pour la Belgique et les autres pays réunis à la République française, les écoles centrales seraient placées dans les chefs-lieux de département.