samedi 27 septembre 2014

Recueil de bons mots du XVIIIème siècle... (5)

Comme le montre admirablement Ridicule, le film de Patrice Leconte, le sens de la répartie joue un rôle capital dans les salons des Lumières. Certains s'y exercent et le cultivent (songez au personnage incarné par Jean Rochefort) ; pour d'autres, anonymes ou personnages célèbres, ces saillies seraient presque naturelles...
Par ces quelques bons mots, glanés çà et là dans l'histoire du XVIIIè siècle, j'aimerais rendre hommage au bel esprit...
 
Jean Rochefort, dans Ridicule

 Au spectacle, M. de Richelieu demanda un jour à Casanova laquelle des deux actrices lui semblait la plus belle.
- Celle-là.
- Elle a de vilaines jambes.
- On ne les voit pas, Monsieur, et après, dans l'examen de la beauté d'une femme, la première chose que j'écarte sont les jambes.
 
Casanova
*** 

Une vieille dame , qui avait un jeune amant, lui donna par testament une terre considérable : cette donation fut disputée par une jeune et jolie personne, héritière de la donatrice ; cependant le don fut confirmé par arrêt. La jeune héritière dit à son adversaire: «Il faut avouer, monsieur, que vous avez acquis cette terre à bon marché. — Il est vrai, madame; mais puisque vous savez ce qu'elle me coûte , je vous l'offre au même prix. »
  
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On demandait à Fontenelle la définition d'une belle femme. « Une belle femme, répondit-il, est le paradis des yeux, l'enfer de l'âme, et le purgatoire de la bourse. »

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Rulhière disait un jour : « Je n'ai jamais fait qu'une méchanceté dans ma vie.Quand finira-t-elle? demanda Champfort. »

  
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On demandait un jour à une femme d'esprit , du temps de Louis XV, quelle différence elle trouvait entre le directeur des postes et le lieutenant-général de police: « C'est, dit-elle, que l'un défait le cachet des lettres, et que l'autre fait des lettres de cachet.» 

  
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Au milieu de ses plus honteux désordres, Louis XV reprenait quelquefois avec beaucoup de noblesse la dignité de son rang. Les courtisans familiers s'étant un jour livrés à toute la gaîté d'un souper, quelques uns s'amusèrent à rendre compte du peu de charmes de leurs femmes, et du mérite qu'ils avaient à s'acquitter de leurs devoirs de maris. Un mot imprudent adressé à Louis XV, et ne pouvant être applicable qu'à la reine, fait à l'instant cesser toute la joie du repas. Louis prend un air imposant, et frappant deux ou trois coups sur la table avec son couteau : « Messieurs, dit-il, voilà le roi. »

  
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Une demoiselle, jolie et spirituelle, mariée depuis très peu de temps, baillait beaucoup avec son mari. Celui-ci lui demanda si elle s'ennuyait de sa société. " Non, monsieur, répondit-elle; mais vous et moi, nous ne faisons qu'un, et je m'ennuie quand je suis seule."

  
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L'abbé Galiani se trouvant un jour au spectacle de la cour, dit au sujet de la Voix de mademoiselle Arnould : « C'est le plus bel asthme que j'aie jamais entendu. »  
 
Ferdinando Galiani
  
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Deux personnes causant tous bas en la présence d'une demoiselle, elle eut la curiosité de s'approcher et de demander le sujet de la conversation. " Nous parlions, dit l'un d'eux, de choses qu'une jeune fille ne doit pas entendre. - Ce que vous dites là, monsieur, est fort déplacé, répondit-elle d'un air piqué; apprenez que je ne suis fille que de nom. "
  
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Voltaire faisait un jour l'éloge du savant médecin Haller, devant un flatteur qui vivait aussi avec cet homme célèbre. Le flatteur dit, sur-le-champ : « Il s'en faut bien que M. Haller parle de vos ouvrages comme vous parlez des siens. » Voltaire répliqua : « Il peut se faire que nous nous trompions tous deux. » 

vendredi 26 septembre 2014

Marion Sigaut- De la centralisation monarchique à la révolution bourgeoise

▶ Entretien avec Marion Sigaut- De la centralisation monarchique à la révolution bourgeoise - Vidéo Dailymotion

l'historienne Marion Sigaut
Les premières minutes de cette intervention de Marion Sigaut me donnent l'occasion d'évoquer la notion de pouvoir royal et celle, plus complexe, de l'opposition à ce même pouvoir royal tout au long du XVIIIème siècle.
Avec Diderot, rappelons tout d'abord qu' aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. (...) La puissance, qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement sans réserve a un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C’est Dieu, jaloux absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux. 
Diderot
(Article Autorité politique).  

Très habilement, le philosophe nous rappelle ici que seul le peuple est souverain, et que c'est lui qui délègue cette souveraineté à l'un des siens (le meilleur ?) pour gouverner... Par conséquent, l'origine de l'autorité royale n'étant pas divine, le roi doit de toute évidence rendre compte de ses décisions au peuple, puisque celui-ci demeure souverain et que cette souveraineté est et reste inaliénable. 
Marion Sigaut nous dit : "quand il a tranché, au-dessus de lui, c'est le bon Dieu". C'est une erreur. Quand le roi a tranché, il doit avant tout se pencher en-dessous de lui vers ce peuple qui l'a placé sur le trône... "Le roi est obligé de vouloir en fonction de sa fonction", ajoute-t-elle. Il le devrait, c'est une évidence. Or, l'histoire du XVIIIème siècle nous apprend que Louis XV a trop souvent passé outre ce devoir.
 
le Parlement de Paris
D'où l'importance des Parlements, ces cours souveraines, véritables corps intermédiaires entre le peuple et le roi (1). A leur propos, l'historienne avance qu'ils "ne vont jamais cesser prétendre réviser les décisions du roi" et qu'"ils n'ont aucune autorité pour le faire, personne ne la leur a jamais donnée". Passons rapidement sur cette allégation puisque le Parlement bénéficiait effectivement d'un droit de remontrance qui l'autorisait à refuser d'enregistrer une ordonnance royale et à présenter au roi ses observations. Demandons-nous surtout de quel autre moyen disposait alors le peuple pour faire entendre sa voix, et plus particulièrement ses plaintes. Pour cela, prenons l'exemple des années 1755-1756, au cours desquelles les relations entre le roi et son Parlement se révèlent extrêmement tendues.

De quoi se plaint alors le peuple ?
- A Paris, du refus de sacrements pour les présumés jansénistes n'ayant pas pu présenter de billet de confession. 
- Des impôts extraordinaires levés au début de la guerre de 7 ans. 
Que font le Parlement de Paris, et d'autres (notamment celui de Rouen), à travers tout le royaume ? 
Ils s'en plaignent auprès du roi. Encore et encore...
A deux reprises, en septembre 1754 puis en mars 1755, Louis XV donne raison à ses magistrats, considérant comme un abus l'exécution de la "bulle unigenitus... en conséquence, enjoint à tous ecclésiastiques... de se renfermer, à l'égard de ladite bulle, dans le silence général respectif et absolu...". Refusant d'obéir, plusieurs prélats sont condamnés à l'exil. Fin 1755, après une nouvelle assemblée du clergé, les autorités ecclésiastiques décident que :
- la constitution Unigenitus acceptée par l'Eglise est un jugement dogmatique...
- on doit à ce jugement une obéissance de coeur et d'esprit
- il n'appartient qu'à la puissance ecclésiastique de décider des dispositions nécessaires...
Aux yeux du clergé, il n'était pas question pour l'Eglise de se soumettre aux lois de l'Etat... 
Que croyez-vous que fît le roi ? Le pauvre courba évidemment l'échine et donna raison aux prélats...
la mise à mal des jansénistes par l'Eglise

A la liste des "forces d'opposition" au pouvoir royal, on peut effectivement compter celle, bien légitime, des différentes cours souveraines du royaume. Ces Parlements n'ont cessé au cours de ces années de faire entendre la voix des anonymes.
Quant au clergé, autre "force d'opposition" (tout aussi légitime, celle-là ?), il me revient à son propos ces quelques mots du baron d'Holbach, extraits de l'article théocratie : ils ont voulu former dans les états un état séparé indépendant de la puissance civile...

(1) Dans son étude des rapports Roi-Parlement, Marion Sigaut laisse entendre que le second a toujours été soumis au premier. En imaginant que l'autoritarisme de Louis XIV, puis celui de Louis XV, ont toujours été de règle, elle commet en fait une nouvelle erreur. Voyez plutôt comment, au XVIè siècle, Henri IV s'adressait à son Parlement : "Je prends bien les avis de tous mes serviteurs; lorsqu'on m'en donne de bons, je les embrasse ; et si je trouve leur opinion meilleure que la mienne, je la change fort volontiers. Il n'y na pas un de vous que quand il voudra venir me trouver et me dire, Sire vous faites telle chose qui est injuste à toute raison, que je ne l'écoute fort volontiers."

jeudi 25 septembre 2014

Recueil de bons mots du XVIIIème siècle... (4)

Comme le montre admirablement Ridicule, le film de Patrice Leconte, le sens de la répartie joue un rôle capital dans les salons des Lumières. Certains s'y exercent et le cultivent (songez au personnage incarné par Jean Rochefort) ; pour d'autres, anonymes ou personnages célèbres, ces saillies seraient presque naturelles...
Par ces quelques bons mots, glanés çà et là dans l'histoire du XVIIIè siècle, j'aimerais rendre hommage au bel esprit...




Des femmes qui avaient été voir des fous, demandèrent à l'un d'eux de leur donner trois numéros pour la loterie; le fou écrivit trois numéros sur un papier qu'il avala, et leur dit : " Mesdames, demain vos numéros sortiront."

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Un domestique tenta de se noyer ; son maître, qui s'en aperçut, arriva à temps pour le sauver. Le maître ordonna à un de ses gens d'avoir l'œil sur lui, et de l'empêcher, dans le cas où il voudrait récidiver. Le malheureux, ne pouvant se noyer, prit le parti de se pendre. Le maître, de retour, surpris de ce que l'autre ne l'en avait pas empêché, lui en fit de violents reproches. Celui-ci lui répondit : « Ma foi, monsieur, j'ai cru qu'il s'était mis là pour se sécher. »

***

Un mari qui avait une femme fort laide, la trouva couchée avec un homme; il dit au galant sans se fâcher : « Eh, monsieur, vous n'y étiez point obligé. »


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Un marquis disait hautement à un financier: « Vous devez savoir que je suis un homme de qualité. — Hé bien, dit le financier, si vous êtes un homme de qualité, moi je suis un homme de quantité. »


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Un curé donnant dans un rigorisme excessif, soutenait que les festins des noces étaient de l'invention du diable. Quelqu'un lui objecta que Jésus Christ avait pourtant assisté aux noces de Cana , et qu'il y fit même son premier miracle pour prolonger la gaité du festin. Le curé, embarrassé, répondit en grommelant: " Ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux."


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Fontenelle, à l'âge de quatre-vingt-douze ans, alla voir dans la matinée une très aimable femme qu'il estimait beaucoup; la dame sachant que c'était lui, parut bientôt dans son déshabillé, et lui dit: « Vous voyez, monsieur, qu'on se lève pour vous. — Oui, répondit Fontenelle, mais vous vous couchez pour un autre, dont j'enrage. »
Fontenelle

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On parlait d'une femme qui s'était reprise d'inclination pour son mari. « Vous verrez, dit madame du Deffand, que c'est une envie de femme grosse. »


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Une jeune courtisane disait qu'elle connaissait les livres de morale. " Oui, dit un plaisant, comme les voleurs connaissent la gendarmerie. "


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Une femme étant en mal d'enfant, criait, ainsi que c'est l'usage; mais surtout s'exhalait en imprécations. Son mari, présent à ce spectacle , tâchait de la rassurer, en lui disant : «Allons, apaise-toi; quand tu jurerais, cela n'avancerait de rien; c'est du courage qu'il faut.Va , lui répondit-elle , ce n'est pas à toi que j'en veux. »

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Une demoiselle qui se piquait d'être belle, quoiqu'elle eût les yeux un peu louches et assez rades, se vantait avec orgueil dans une compagnie, qu'un duc et pair lui avait fait longtemps les yeux doux : « Avouez, mademoiselle, lui dit quelqu'un , qu'il y a fort mal réussi. »

mardi 23 septembre 2014

Article "Dimanche", Encyclopédie

Octobre 1754. Dans le tome 4 de l'Encyclopédie, on trouve cet article très éclairant de l'économiste Faiguet de Villeneuve.  A noter que ce même Faiguet sera quelques années plus tard (en 1763) l'auteur d'un essai intitulé l'Econome politique, projet pour enrichir et perfectionner l'espèce humaine. Tout un programme !
 
le dimanche, jour de débauche...

DIMANCHE, s. m. (Hist. & Discipl. ecclésiast.) jour du Seigneur. Le dimanche considéré dans l’ordre de la semaine, répond au jour du Soleil chez les Païens ; considéré comme fête consacrée à Dieu, il répond au sabbat des Juifs, et en est même une suite (...)
L’Église ordonne pour le dimanche de s’abstenir des œuvres serviles, suivant en cela l’institution du Créateur : elle prescrit encore des devoirs et des pratiques de piété ; en un mot un culte public et connu. La cessation des œuvres serviles est assez bien observée le dimanche, et il est rare qu’on manque à cette partie du précepte, à moins qu’on n’y soit autorisé par les supérieurs, comme il arrive quelquefois pour des travaux publics et pressants, ou pour certaines opérations champêtres qu’il est souvent impossible de différer sans s’exposer à des pertes considérables, et qui intéressent la société. On a beaucoup moins d’égard pour les fêtes, et je remarque depuis quelque temps à Paris que plusieurs ouvriers, les maçons entre autres, s’occupent de leur métier ces jours-là, comme à l’ordinaire, même en travaillant pour des particuliers.
M. l’abbé de Saint-Pierre qui a tant écrit sur la science du gouvernement, ne regarde la prohibition de travailler le dimanche (Voyez œuvres politiq. tome VII. p. 73 & suivantes), que comme une règle de discipline ecclésiastique, laquelle suppose à faux que tout le monde peut chômer ce jour-là sans s’incommoder notablement. Sur cela il prend en main la cause de l’indigent (ibid. p. 76.) et non content de remettre en sa faveur toutes les fêtes au dimanche, il voudrait qu’on accordât aux pauvres une partie considérable de ce grand jour pour l’employer à des travaux utiles, et pour subvenir par là plus sûrement aux besoins de leurs familles. Au reste on est pauvre, selon lui, dès qu’on n’a pas assez de revenu pour se procurer six cents livres de pain. A ce compte il y a bien des pauvres parmi nous.
l'abbé de Saint-Pierre
Quoi qu’il en soit, il prétend que si on leur accordait pour tous les dimanches la liberté du travail après midi, supposé la messe et l’instruction du matin, ce serait une œuvre de charité bien favorable à tant de pauvres familles, et conséquemment aux hôpitaux ; le gain que feraient les sujets par cette simple permission, se monte, suivant son calcul, à plus de vingt millions par an. Or, dit-il (ibid. p. 74), quelle aumône ne serait-ce point qu’une aumône annuelle de vingt millions répandue avec proportion sur les plus pauvres ? N’est-ce pas là un objet digne d’un concile national qui pourrait ainsi perfectionner une ancienne règle ecclésiastique, et la rendre encore plus conforme à l’esprit de justice et de bienfaisance, c’est à-dire plus chrétienne dans le fond qu’elle n’est aujourd’hui ? A l’égard même de ceux qui ne sont pas pauvres, il y a une considération qui porte à croire que si après la messe et les instructions du matin, ils se remettaient l’après-midi à leur travail et à leur négoce, ils n’iraient pas au cabaret dépenser, au grand préjudice de leurs familles, une partie de ce qu’ils ont gagné dans la semaine ; ils ne s’enivreraient pas, ils ne se querelleraient pas, et ils éviteraient ainsi les maux que causent l’oisiveté et la cessation d’un travail innocent, utile pour eux et pour l’état. (...)
Pierre Gattaz (président du Medef) :"Tout ce qui détruit de l’emploi est une mauvaise solution. ça vaut pour le travail le dimanche"  


dimanche 21 septembre 2014

Article "mendiant", Encyclopédie


Le raisonnement adopté par Jaucourt reste d'actualité, non ?
 
Louis de Jaucourt

MENDIANT (Econom. politiq.) : gueux ou vagabond de profession, qui demande l'aumône par oisiveté et par fainéantise, au lieu de gagner sa vie par le travail.


Les législateurs des nations ont toujours eu soin de publier des lois pour prévenir l'indigence, et pour exercer les devoirs de l'humanité envers ceux qui se trouveraient malheureusement affligés par des embrasements, par des inondations, par la stérilité, ou par les ravages de la guerre; mais convaincus que l'oisiveté conduit à la misère plus fréquemment et plus inévitablement que toute autre chose, ils l'assujettirent à des peines rigoureuses. Les Egyptiens, dit Hérodote, ne souffraient ni mendiants ni fainéants sous aucun prétexte. Amasis avait établi des juges de police dans chaque canton, par devant lesquels tous les habitants du pays étaient obligés de comparaître de temps en temps, pour leur rendre compte de leur profession, de l'état de leur famille, et de la manière dont ils l'entretenaient; et ceux qui se trouvaient convaincus de fainéantise, étaient condamnés comme des sujets nuisibles à l'état. Afin d'ôter tout prétexte d'oisiveté, les intendants des provinces étaient chargés d'entretenir, chacun dans leur district, des ouvrages publics, où ceux qui n'avoient point d'occupation, étaient obligés de travailler. Vous êtes des gens de loisir, disaient leurs commissaires aux Israélites, en les contraignant de fournir chaque jour un certain nombre de briques; et les fameuses pyramides sont en partie le fruit des travaux de ces ouvriers qui seraient demeurés sans cela dans l'inaction et dans la misère. (…)

Des édits semblables contre les mendiants et les vagabonds, ont été cent fois renouvelés en France, et aussi inutilement qu'ils le seront toujours, tant qu'on n'y remédiera pas d'une autre manière, et tant que des maisons de travail ne seront pas établies dans chaque province, pour arrêter efficacement les progrès du mal. Tel est l'effet de l'habitude d'une grande misère, que l'état de mendiant et de vagabond attache les hommes qui ont eu la lâcheté de l'embrasser; c'est par cette raison que ce métier, école du vol, se multiplie et se perpétue de père en fils. Le châtiment devient d'autant plus nécessaire à leur égard, que leur exemple est contagieux. La loi les punit par cela seul qu'ils sont vagabonds et sans aveu ; pourquoi attendre qu'ils soient encore voleurs, et se mettre dans la nécessité de les faire périr par les supplices? Pourquoi n'en pas faire de bonne heure des travailleurs utiles au public? Faut-il attendre que les hommes soient criminels, pour connaître de leurs actions? Combien de forfaits épargnés à la société, si les premiers dérèglements eussent été réprimés par la crainte d'être renfermés pour travailler, comme cela se pratique dans les pays voisins!

Encyclopédie (tome 10), article « mendiant », 
Louis de Jaucourt (1765)

vendredi 19 septembre 2014

Recueil de bons mots du XVIIIème siècle... (3)

Comme le montre admirablement Ridicule, le film de Patrice Leconte, le sens de la répartie joue un rôle capital dans les salons des Lumières. Certains s'y exercent et le cultivent (songez au personnage incarné par Jean Rochefort) ; pour d'autres, anonymes ou personnages célèbres, ces saillies seraient presque naturelles...
Par ces quelques bons mots, glanés çà et là dans l'histoire du XVIIIè siècle, j'aimerais rendre hommage au bel esprit...



On demandait à une vivandière qui venait d'accoucher, de quel soldat était le poupon : « J'aurais bien de la peine à dire de quel régiment », répondit-elle.

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Une jeune fille poursuivait un homme pour crime de séduction; son avocat ne trouvant rien d'assez prouvé, lui dit que sa cause était mauvaise, et qu'il fallait y renoncer : elle s'en alla fort mécontente. Quelques jours après elle revint chez lui et lui dit. « Monsieur l'avocat, nouvelle preuve; il m'a encore séduite ce matin. »

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Une jeune fille, interrogée par son confesseur, lui avouait qu'elle avait eu beaucoup d'estime pour un jeune homme : « Combien de fois », lui demanda le directeur.

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Les longues et pénibles cérémonies du sacre de Louis XVI étant finies, le roi demanda à l'archevêque de Reims s'il ne se trouvait pas bien fatigué: « Point du tout, sire, répondit le cardinal. — Ma foi, répond le monarque, je le suis beaucoup, moi qui n'ai pas votre âge, et je vous plains.Votre majesté est trop bonne, dit le vieux prélat; je me sens très bien, et je suis prêt à recommencer dès demain.

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Une jeune demoiselle disait à un jeune homme : « Finissez donc. — Si vous voulez que je finisse, lui répondit le jeune homme, laissez-moi donc commencer. » 

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Un paysan venait du catéchisme : quelqu'un qui le vit chagrin, lui demanda ce qu'il avait : « Monsieur le curé, répondit-il, est toujours à me gronder; il m'a demandé combien il y avait de Dieux. — Eh bien ! tu lui as répondu qu'il n'y en avait qu'un.Que dites-vous, un ? Je lui ai dit qu'il y en avait trois, et il n'est pas encore content. »

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Un prédicateur s'élevant avec beaucoup de véhémence contre l'adultère, s'écria: " Oui, j'aimerais mieux avoir affaire à dix filles chaque mois, que d'approcher une seule fois d'une femme mariée.Mon père, dit un des auditeurs, il y a beaucoup de gens qui pensent comme vous. "


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Un mari qui venait de faire une infidélité à son épouse en faveur de sa servante, disait à cette dernière : " Tu t'en acquittes bien mieux que ma femme.C'est ce que tout le monde me dit ", répondit-elle.

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Un jeune homme étant au collège, faisait la lecture pendant le repas; il trouva ces mots : « On lui coupa le col», et le prononça comme il était écrit. Le préfet du réfectoire l'arrêta, lui dit de recommencer, et de lire comme s'il y avait un u: « On lui coupa le cul», reprit alors le jeune homme.


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On présentait à Voltaire une jeune fille de douze ans qui avait été embrassée par le pape. Voltaire lui dit : «Mademoiselle, comme vous avez embrassé le pape, il est bien juste que vous embrassiez l'anti-pape. »

mercredi 17 septembre 2014

Recueil de bons mots du XVIIIème siècle... (2)

Comme le montre admirablement Ridicule, le film de Patrice Leconte, le sens de la répartie joue un rôle capital dans les salons des Lumières. Certains s'y exercent et le cultivent (songez au personnage incarné par Jean Rochefort) ; pour d'autres, il est presque naturel...
Par ces quelques bons mots, glanés çà et là au cours dans l'histoire du XVIIIè siècle, j'aimerais rendre hommage au bel esprit...



Un homme avait un soi-disant ami et une belle femme ; l'ami le fit cocu. L'homme devint veuf et en prit une laide. L'ami le fit encore cocu.
- Parbleu, dit l'homme à son ami, je vois bien à présent que c'est à moi que vous en voulez.

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Un auteur avait adressé à Voltaire une tragédie pour la soumettre à son jugement ; il la lut, et la posant sur la table : "la difficulté, dit-il, n'est pas de faire une tragédie comme celle-ci, mais de répondre à celui qui l'a faite."


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Vous savez bien, disait M. le Mierre à quelqu'un, ce que d'Alembert a prononcé sur mon compte : "que j'ai fait faire un pas à la tragédie." L'autre lui répondit en plaisantant : "est-ce en avant ou en arrière ?"


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Un acteur que l'on sifflait toutes les fois qu'il paraissait sur le théâtre, en raison de son extrême laideur, s'avança un jour au-devant du public et dit : "Messieurs, il vous est plus aisé de vous accoutumer à ma figure qu'à moi d'en changer."


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Savez-vous, disait le roi Louis XIV à Montcrif, qu'on vous donne 80 ans ? 
- Oui, Sire, répondit le poète, mais je ne les prends pas.


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Un homme, reçu chez Voltaire, faisait compliment à Madame Denis de la manière dont elle venait de jouer Zaïre.
- Il faudrait, dit-elle, être belle et jeune...
- Ah ! Madame, répondit le complimenteur, vous êtes bien la preuve du contraire !


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Très près de sa fin, Fontenelle déclara : "voilà la première mort que je vois."

Fontenelle

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On demandait à une dame quel âge avait sa mère : "je n'en sais plus rien. Chaque année, ma mère se croit rajeunie d'un an ; si cela continue, je serai bientôt son aînée."


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Une fille se plaignait d'approcher de trente ans bien qu'elle en eût davantage.
-Consolez-vous, Mademoiselle, lui dit quelqu'un, vous vous en éloignez tous les jours."


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Un jour que l'on ne s'entendait pas dans une dispute, M. de Mairan dit :
- Messieurs, si nous ne parlions que quatre à la fois ?


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Un mari disait à sa femme :
- Je crois qu'il n'y a qu'un homme dans toute cette ville qui ne soit pas cocu.
- Qui donc ? demanda la femme.
- Mais, dit le mari, tu le connais !
- J'ai beau chercher, répondit-elle, je ne le connais pas.


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Un prédicateur prêchant devant des religieuses leur dit que Jésus Christ ressuscité apparut d'abord aux femmes afin que la nouvelle de sa résurrection fût plus tôt répandue.

samedi 13 septembre 2014

Tableau des moeurs du temps, comédie érotique (3)

Dans ses Mémoires Secrets, Bachaumont affirme qu'à la mort du fermier général M. de la Popelinière, en 1762, on découvrit de l'ouvrage qui suit un exemplaire orné d'estampes admirablement finies, représentant des scènes d'orgie avec, pour partenaires, le financier et un certain nombre de dames nues. En l'occurrence, les Tableaux des moeurs du temps, dont vous allez lire les dernières lignes, sont aujourd'hui attribuées à Crébillon fils (1707-1777). 
 
 






vendredi 12 septembre 2014

Tableau des moeurs du temps, comédie érotique (2)

Dans ses Mémoires Secrets, Bachaumont affirme qu'à la mort du fermier général M. de la Popelinière, en 1762, on découvrit de l'ouvrage qui suit un exemplaire orné d'estampes admirablement finies, représentant des scènes d'orgie avec, pour partenaires, le financier et un certain nombre de dames nues. En l'occurrence, les Tableaux des moeurs du temps, dont vous allez lire le 2ème extrait, sont aujourd'hui attribuées à Crébillon fils (1707-1777). 
Crébillon fils







 
 
 
 
(à suivre)

mercredi 10 septembre 2014

Tableau des moeurs du temps, comédie érotique (1)

Dans ses Mémoires Secrets, Bachaumont affirme qu'à la mort du fermier général M. de la Popelinière, en 1762, on découvrit de l'ouvrage qui suit un exemplaire orné d'estampes admirablement finies, représentant des scènes d'orgie avec, pour partenaires, le financier et un certain nombre de dames nues. En l'occurrence, les Tableaux des moeurs du temps, dont vous allez lire un premier extrait, sont aujourd'hui attribuées à Crébillon fils (1707-1777). 
Crébillon fils




 (à suivre)