mercredi 23 novembre 2016

Diderot vu par... sa fille (2)

C'est en octobre 1747 que les Libraires associés confient à Diderot (et d'Alembert) le soin de poursuivre le projet encyclopédique. Voici comment sa fille Angélique raconte ces premières années

 
Mme de Vandeul
Quelque temps après, l’Encyclopédie fut encore arrêtée (ndlr : en 1752). M. de Malesherbes prévint mon père qu’il donnerait le lendemain ordre d’enlever ses papiers et ses cartons. « Ce que vous m’annoncez là me chagrine horriblement ; jamais je n’aurai le temps de déménager tous mes manuscrits, et d’ailleurs il n’est pas facile de trouver en vingt-quatre heures des gens qui veuillent s’en charger et chez qui ils soient en sûreté. — Envoyez-les tous chez moi, lui répondit M. de Malesherbes, l’on ne viendra pas les y chercher. » En effet, mon père envoya la moitié de son cabinet chez celui qui en ordonnait la visite. 

Tout le temps qu’il a travaillé à cet ouvrage, c’est-à-dire trente ans, il n’a joui, pour ainsi dire, d’aucun repos ; il n’était jamais sûr la veille de pouvoir continuer le lendemain ; les libraires le désespéraient. Il venait de publier un volume dont il avait revu toutes les épreuves ; il a besoin de rechercher quelque chose, il trouve un article rogné, recousu et gâté, il ne sait comment cette faute a pu se commettre, il parcourt tout le volume, et trouve toute sa besogne altérée. C’était une correction de la façon de Le Breton (l'un des libraires associés au projet). Effrayé de la hardiesse de ces idées, il avait imaginé, pour en adoucir l’effet, d’ôter et de supprimer tout ce qui paraissait trop fort à la faiblesse de sa tête. Mon père pensa en tomber malade ; il cria, s’emporta, il voulait abandonner l’ouvrage ; mais le temps, la bêtise, les ridicules excuses de ce libraire, qui craignait la Bastille plus que la foudre, parvinrent à le calmer, mais non à le consoler. Jamais je ne l’ai entendu parler froidement à ce sujet ; il était convaincu que le public savait comme lui ce qui manquait à chaque article, et l’impossibilité de réparer ce dommage lui donnait encore de l’humeur vingt ans après. Il exigea pourtant que l’on tirât un exemplaire pour lui avec des colonnes où tout était rétabli ; cet exemplaire est en Russie avec sa bibliothèque.

L’abandon de M. d’Alembert au milieu de l’entreprise lui fit un chagrin amer. Qui le croirait ! l’argent seul fut cause de sa retraite (le manque de courage, également) :

j’ai vu dans des lettres très intimes de mon père tout le détail de ses allées et venues dans ce temps. M. d’Alembert voulait que son traitement fût plus considérable, les libraires y consentirent ; quelques mois après, il voulut davantage, ils rechignèrent, mais ils accordèrent encore ; quelques mois après, il demanda de nouvelles augmentations, jamais mon père ne put les y déterminer ; et après avoir conjuré, supplié, demandé à son ami, juré, tourmenté les libraires, il demeura seul chargé de la besogne (à partir de 1757). Cet événement ne diminua ni l’estime de mon père pour la personne de M. d’Alembert, ni la justice qu’il rendait à ses rares talents, mais il s’éloigna de sa société. Toutes les fois qu’ils se retrouvaient, ils se traitaient comme s’ils ne se fussent jamais quittés, mais ils étaient quelquefois deux ans sans se voir.

( à suivre ici)

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