vendredi 20 janvier 2017

Robespierre, la fabrication d'un monstre, par JC Martin (2)

Professeur d'histoire-géographie, Anne-Marie Coustou pose un regard particulièrement critique sur l'ouvrage de Jean-Clément Martin.
Voici quelques extraits de sa recension.  
Un révolutionnaire qui s’inscrit dans un courant « archaïque »

L’auteur mobilise évidemment cet autre lieu commun selon lequel Robespierre serait fondamentalement passéiste, ce qui annihilerait toute la dimension apparemment « moderne » de ses positions politiques. A propos du combat qu’il mène pour l’extension du droit de vote aux citoyens passifs, Martin affirme ainsi (p. 101) que «… la « modernité » des revendications démocratiques qu’il défend bute alors sur des sentiments qu’il faut bien qualifier d’« archaïques », puisqu’ancrés dans un horizon communautaire, nostalgique d’un âge d’or. » Cette « nostalgie d’un âge d’or » auquel il faudrait retourner n’est pas chez Robespierre. On la retrouvera en revanche dans les écrits de ceux qui depuis deux siècles se recopient pour donner corps à cette idée (14).


L’affrontement avec les Girondins : une querelle d’ego

Dans le chapitre sur la guerre, JC Martin reprend à son compte une expression d’Hervé Leuwers (Robespierre, Fayard, 2014, p. 204 et 205) concernant le combat idéologique qui oppose Robespierre aux brissotins au sujet de la guerre durant l’hiver 1791-92 et au printemps 1792. Selon Martin, ce combat se réduirait en fin de compte à une « querelle des ego » : « C’est plus sûrement la marque que la querelle des ego (Hervé Leuwers) est bel et bien enclenchée et qu’elle ne se finira qu’avec la victoire d’un des protagonistes. » (p 147). En réalité, la formulation d’Hervé Leuwers sur cette question est nettement plus nuancée, puisque, selon lui, la virulence des échanges s’explique "d'abord dans l'enjeu du débat qui, pour Robespierre, est la paix, la liberté et l'issue de la Révolution". Et, même s’il affirme qu'il ne faut pas d'emblée écarter "ces témoignages qui supposent une querelle d'ego", il en conclut que "dans le duel, c'est aussi l'autorité morale de ces deux premiers rôles qui est en jeu". Est-il besoin de préciser que l’ego est un concept qui relève de la psychologie, et réduire un affrontement historique entre deux conceptions de la société à une « querelle des ego » est une interprétation qui sacrifie à un certain courant historique ambiant, même si JC Martin s’en défend. Il qualifie les altercations verbales entre les Girondins et Robespierre de « vanités opposées, d’orgueils rivaux » (p 157), ignorant les divergences idéologiques fondamentales qui les opposent. Cette analyse, basée sur une approche psychologisante, occulte les enjeux politiques du moment sur le sens qu’il faut donner à la guerre, une fois que celle-ci est déclarée, le processus devenant alors irréversible. Cette interprétation détachée des enjeux politiques ignore les motivations financières, économiques et politiques des Girondins, motivations que les historiens Georges Michon et Marc Belissa  a pourtant parfaitement mises en lumière.


Un chef de clan qui « règle ses comptes » et justifie les « coups d’État »

C’est ainsi que, tout naturellement, en ignorant les enjeux politiques qui se jouent derrière l’affrontement entre Girondins et Montagnards, l’auteur en arrive à la conclusion qu’à partir de septembre 1792, Robespierre devient un « chef de clan » (p. 172). C’est également lui qui « donne le ton » pour la lutte des factions après la mort du roi car « La convention sort divisée plus que jamais de cette exécution qui a bien établi une frontière de sang infranchissable entre partisans et opposants de la Révolution, mais aussi, plus subtilement, entre les factions révolutionnaires entre elles. Et Robespierre a donné le ton. » (p. 187)

Est-ce aussi l’ignorance des enjeux politiques qui fait déraper le vocabulaire utilisé par l’auteur qui qualifie de « coup d’État » (p. 208, puis p. 213) l’action du peuple de Paris lorsqu’il destitue les députés girondins infidèles, le 2 juin 1793 ? Cela semble probable puisqu’à la page suivante Martin parle des « départements demeurés loyalistes » à propos des départements où les Girondins sont puissants et organisent la lutte fédéraliste contre Paris. Or un coup d’État, au sens propre, est une prise du pouvoir illégale par une personne ou un groupe qui exerce des fonctions à l’intérieur de l’appareil étatique. L’action du peuple de Paris le 2 juin n’avait pas pour fonction de prendre le pouvoir, mais bien de destituer de leur fonction des représentants indignes qui avaient trahi le peuple, afin d’obliger la convention à remplir sa mission au service du peuple, conformément aux principes de la démocratie et du droit naturel. C’est probablement cette ignorance des principes du droit naturel qui amène l’auteur à présenter de manière étrange les propositions que fait Robespierre le 10 mai 1793 sur la future constitution (p. 203). Celui-ci prononce un long discours dans lequel il pose les bases d’un fonctionnement démocratique de la vie politique en proposant quelques règles de bon sens permettant le contrôle des élus par le peuple, contrôle permanent que J.-C. Martin interprète de la manière suivante : «… son idéal d’une démocratie quasi directe le conduit à surveiller de façon obsessionnelle les fonctionnaires (entendez les élus) ». Et à propos de la révocabilité des élus par leurs mandataires, Martin écrit que Robespierre « propose que le peuple puisse révoquer ses mandants quand bon lui semble ! » (p. 203), le point d’exclamation étant destiné à mettre en relief l’incongruité de la proposition. En réalité, Robespierre ne propose bien évidemment pas que le peuple puisse révoquer ses élus à tort et à travers selon sa fantaisie, mais seulement lorsque ceux-ci trahissent ses intérêts vitaux. Est-ce le même choix délibéré d’ignorer les enjeux politiques qui amène l’auteur à qualifier les conflits politiques dans lesquels Robespierre intervient en 1793 de « querelles » ou de « règlements de compte » qui seraient « le lot quotidien de sa vie » ? (p. 230). C’est ainsi que Martin explique que ceux-ci « témoignent de combats autrement plus importants et aussi plus confus, car les clivages ne sont pas clairement politiques ou idéologiques mais combinent toutes les dimensions possibles que les rivalités peuvent emprunter. » Le terme de « règlements de comptes » est à nouveau utilisé à propos des différentes ruptures antérieures à Thermidor (p. 307). C’est d’ailleurs cette même interprétation des « rivalités » entre « clans » qui amène l’auteur à qualifier de « coup d’État » l’arrestation des chefs cordeliers en mars 1794 (p. 261).

Quant à ses prises de position au Comité de Salut public, Martin les interprète ainsi : Robespierre « s’interdit de mener une politique lisible » et il « laisse à penser qu’il cherche à s’approprier le pouvoir. » (p. 240). Cette même idée est développée plus loin : « sa position repose sur un équilibre fragile entre concurrences politiciennes, encadrement des émotions et administration d’un pays en guerre » et cette position « laisse planer des doutes sur ses buts » (p. 241). (...)
Cette interprétation des positions de Robespierre entre effectivement dans la logique des choses si l’Incorruptible est devenu un « chef de clan » ainsi que le suppose Martin.

 
JC Martin
Un révolutionnaire qui justifie les massacres

La propension de Robespierre à justifier les massacres commis par le peuple avait déjà été évoquée à propos des violences liées à la prise de la Bastille (p. 82). On les retrouve sous forme d’interrogations à propos des massacres de Septembre 1792. Après avoir cité à nouveau Manon Roland qui accuse Robespierre de les avoir « permis » par la radicalité de ses propos et après avoir affirmé que Robespierre les « justifie », l’auteur s’interroge : « La marche de la Révolution impose-t-elle de ne pas s’intéresser à la trivialité des actes qui la favorisent ? Est-ce la définition restrictive du « peuple » qui interdit toute compassion avec les « traîtres » ? Le silence sur les exactions commises et le refus de dénoncer ces actes barbares et de les considérer comme un acte de justice est un choix dont la portée ne peut être éludée. » (p. 171-172.) Ainsi, Martin interprète la célèbre formule de Robespierre « Citoyens ! Vouliez vous la Révolution sans la révolution ? » comme une justification des massacres commis par le peuple destinée à « figer les positions » à ce sujet. D’ailleurs l’auteur assimile les massacres d’août (donc les violences consécutives aux tirs des gardes suisses contre les insurgés des Tuileries le 10 août) à ceux de septembre. Il déplore donc que, par sa faute, le débat sur ces massacres n’ait pas été ouvert et affirme que « le jugement à porter sur ces tueries demeure en suspens », car, selon lui, « la naissance de la république demeure associée à cette tragédie » (p. 181). Nous retrouvons là sans surprise les thèses de Furet sur le « dérapage » de la Révolution à partir de septembre 1792, et même d’août pour Martin, dérapage porteur de violences dont il convient de faire le procès à la Révolution. En réalité, Robespierre ne « justifie » pas les massacres, il les déplore comme tous les hommes politiques contemporains, mais il refuse les manœuvres qui consistent, en prenant prétexte des violences ponctuelles commises par certains groupes, à justifier la nécessité de la répression contre les sans-culottes et le recours à des décrets limitant la liberté du peuple, ce qui équivaudrait à une contre-révolution. A propos des massacres, saluons la parution d’un ouvrage qui va à l’encontre des idées reçues, celui de Micah Alpaugh qui montre que la violence, dans les manifestations politiques du peuple de Paris, a été beaucoup plus l’exception que la règle et que le peuple a toujours privilégié les méthodes pacifiques d’intervention dans la vie politique chaque fois que cela était possible. Ouvrage salutaire qui vient mettre en porte-à-faux tous les tenants de la violence du peuple déchaîné.

(à suivre ici)

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