lundi 20 février 2017

Etre femme du monde au XVIIIè : illusions et désillusions (1)

D’Alembert, Diderot, Montesquieu, Rousseau, Voltaire… Du XVIIIème siècle, l’histoire littéraire a retenu le nom de quelques personnages emblématiques, généralement associés au mouvement des Lumières, et célébrés depuis la chute de l’Ancien Régime comme les inspirateurs de la société moderne. Le lecteur attentif aura remarqué qu’aucune femme ne figure dans ce panthéon des grands hommes.
Des salonnières les plus célèbres de l’époque, parmi lesquelles Claudine de Tencin, Marie-Thérèse Geoffrin, Marie du Deffand ou encore Julie de Lespinasse, qui ont accueilli chez elles les plus illustres esprits de leur temps, on ne trouve quasiment nulle trace dans notre patrimoine littéraire. Spectatrices au quotidien de l’effervescence intellectuelle qui caractérisait les réceptions mondaines, elles se sont toujours contentées d’applaudir au génie de leurs hôtes sans jamais s’avancer sur le devant de la scène pour jouer leur propre partition.


Le parcours de Louise d'Epinay, que j'évoque dans mon dernier roman, est révélateur de cette injustice faite aux femmes. Essayons de comprendre pourquoi.




ETRE JEUNE FILLE DE LA BELLE SOCIETE
 
Des 150 écoles parisiennes ouvertes aux jeunes filles dans les années 1750, il convient de distinguer les externats payants qui dépendent de Notre-Dame, les écoles de charité destinées aux enfants pauvres et les communautés religieuses (parfois gratuites, elles aussi) dont les pensionnats réunissent l'essentiel de l'élite parisienne.
A en croire ses pseudo-mémoires, Louise d’Epinay a passé 2 années au couvent (sans doute entre 1737 et 1739), apparemment dans une institution caritative.
Marie du Deffand est elle aussi demeurée pensionnaire au couvent de la Madeleine du Traisnel, établissement fort renommé à Paris. Emilie du Châtelet a quant à elle bénéficié d'une instruction à domicile, au 4ème étage de l'hôtel particulier où résidait sa famille.

Dans leur salon, ses parents reçoivent alors ce que Paris fait de plus brillant : et notamment Fontenelle, avec qui la jeune femme parle d’astronomie et de physique. Contrairement aux filles instruites dans les institutions traditionnelles, Emilie apprend les langues, notamment l’anglais, l’italien, un peu d’espagnol, et surtout le latin ; avec Maupertuis, elle aura plus tard un maître capable de former son esprit et de l'initier à la complexité scientifique. Mais les autres ? Celles qui connaissent une scolarité plus classique ?
Pour elles, l’instruction religieuse et la formation à la piété constituent évidemment la priorité.

On peut ainsi lire dans le règlement de la communauté de Sainte-Anne (paroisse de St-Roch) : « Il ne faut pas exiger d'elles plus que Dieu leur a donné et qu'elles peuvent faire, si on ne peut pas tirer d'avantage il suffit qu'elles croient ce qui est nécessaire et qu'elles soient de bonnes mœurs »
Pour toutes les classes de filles, même celles tenues par des maitresses laïques, il faut avant tout apprendre à connaître et à obéir à Dieu. On apprend les prières, le catéchisme, les grands textes sacrés, et on assiste à la messe quotidienne.
L’instruction de base est partout la même, à savoir lire, écrire, et compter.
Selon l’origine sociale des écolières, le contenu peut cependant varier. Ainsi, dans les écoles payantes, qui comptent bon nombre de filles de marchands, on privilégie souvent le calcul.
Les écoles caritatives de Notre-Dame initient plutôt les jeunes filles aux travaux d’aiguille, à la couture, à la broderie, à la dentelle... Après deux ou trois années de formation, elles deviendront ouvrières dans l’industrie textile parisienne.
Les couvents, qui hébergent les enfants des meilleures famille, proposent moins de travaux d'aiguille (les domestiques y pourvoiront). En contrepartie, elles développent les pratiques de sociabilité indispensables pour entrer dans le monde. Ainsi, il n'est pas rare que des maîtres extérieurs entrent au couvent pour y donner des cours individualisés d'histoire et de géographie. La musique (harpe, clavecin), le chant, la danse, le dessin, la déclamation sont d'autres pratiques que la jeune fille doit acquérir. L’agrément l’emporte toujours sur les sciences, et nulle part on n’enseigne de langue étrangère.
Comme on le devine, cette instruction ne vise en aucun cas la formation intellectuelle de l'élève.
Pour l’Eglise, la jeune fille est évidemment une cible prioritaire, d'abord parce qu'elle est enfant, et surtout parce qu'elle deviendra mère.


Dans le Mémoire instructif pour faire connaitre l’utilité des écoles charitables, on lit :
«Le défaut d'éducation et d'instruction des jeunes filles a toujours été et est en effet la source de la plupart des dérèglements qu'on voit avec douleur au milieu du christianisme»
Pour restaurer son pouvoir sur les consciences, l'Eglise fait de la future mère l'instrument chargé de propager la bonne parole...

 
Emilie du Châtelet



Devenues adultes, les femmes les plus brillantes porteront un regard amer sur leurs jeunes années.
Marie du Deffand écrira un jour à Voltaire : « Vous ne savez point (…) quel est l’état de ceux qui pensent, qui réfléchissent, qui ont quelque activité, et qui sont en même temps sans talent… »
En écho, Louise d’Epinay confirme : « du temps de notre enfance, ce n’était pas l’usage de rien apprendre aux filles : on leur enseignait les devoirs de la religion…on leur donnait un fort bon maître à danser, un fort mauvais maître de musique et tout au plus un médiocre maître de dessin…Voilà à quoi se réduisaient les études soignées. Surtout on ne vous parlait jamais raison »




 A part Emilie du Châtelet, toutes ces femmes auront le sentiment d’une enfance sacrifiée, d’une éducation ratée et surtout, la conscience d'une injustice faite aux femmes...

(à suivre ici

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