mercredi 22 février 2017

Etre femme du monde au XVIIIè : illusions et désillusions (2)

--> ETRE UNE EPOUSE :


Si l'âge moyen du mariage en France est alors de 25 ans,
Louise Dupin (16 ans), Louise d’Epinay et Emilie du Châtelet (19 ans) et Marie du Deffand (22 ans) appartiennent à des milieux sociaux (notamment celui de la finance) qui unissent leurs enfants par intérêt (s'attacher des noms ou des fortunes), et souvent à un âge plus précoce.
Hormis Louise d’Epinay (tombée amoureuse de son cousin Denis), aucune des jeunes femmes citées ci-dessus n’a choisi son mari. Toutes ont néanmoins semblé heureuses de se marier. 
Comment expliquer ce paradoxe ?  
 
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Pour elles, le mariage offre une perspective alléchante, celle d'entrer dans le monde, donc de découvrir une vie sociale longuement fantasmée, émaillée de sorties et de divertissements.

Ainsi de Marie du Deffand qui épouse un lointain cousin bourguignon (dont elle ignorait tout jusqu'alors !) avant de revenir à Paris, d'être introduite à Sceaux et de devenir brièvement la maîtresse du régent ! Sa vie amoureuse plus que tumultueuse lui vaudra un jour ce jugement peu amène : « elle prend un amant comme on prend un vêtement, parce qu’il faut en avoir un, et le quitte le lendemain, pour le seul plaisir de s’en donner un autre »

Et que dire de Louise d’Epinay ? Le lendemain de son mariage, son mari Denis lui offre du rouge à joues, symbole de son entrée dans ce monde qui lui fait encore peur. La jeune femme disposera très vite de son carrosse et de ses chevaux, ainsi que d'un quart de loge à l'Opéra.


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Dans ce monde, la fidélité ne saurait être exigée d'aucun des deux conjoints. Pour un peu, elle serait même considérée comme ridicule.  Hormis Louise Dupin (et encore manque-t-on d'informations sur son compte), aucune de nos épousées ne sera fidèle à son époux. Du moment qu'elles respectent la bienséance en évitant le scandale public, les jeunes femmes peuvent donc prendre un amant. Ainsi, Grimm pourra s'installer à demeure sous le toit familial (au chateau de la Chevrette) sans que quiconque trouve à y redire. Voltaire vivra lui à Cirey auprès de sa maîtresse Emilie du Châtelet.

Les époux ne sont évidemment pas en reste. Quelques mois après son mariage, Denis Lalive d'Epinay multiplie déjà les conquêtes amoureuses.
le château de la Chevrette : dans l'aile droite, les appartements de Grimm


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Certaines de ces jeunes femmes doivent néanmoins assumer un rôle social auprès de leurs époux. Qu'ils se nomment Claude Dupin ou Denis d'Epinay, ces derniers cherchent généralement à asseoir leur réputation et à donner à leur nom l'honorabilité qui leur manque. Pour ce faire, les familles de financiers miment les conduites aristocratiques, les uns achetant d'immenses châteaux à la campagne, les autres se payant des orchestres ou encore des tableaux de valeur

Chenonceau, demeure estivale des Dupin

L'objectif est encore d'attirer chez soi une "bonne compagnie" ou une "bonne société".
Recevoir un écrivain renommé ou un peintre est facteur de prestige et de considération sociale. On entretient ces artistes, on s’attache leur présence, parfois l’exclusivité de leur présence, en les pensionnant .

Mme du Deffand a pour elle d’Alembert, mais elle est surtout la principale interlocutrice de Voltaire. Pour connaître les dernières nouvelles de Ferney, rien ne vaut une soirée dans le salon du couvent Saint-Dominique !

Le rôle de l’épouse est également de recevoir les visites, de présider aux soupers, et pourquoi pas d’avoir un ou deux jours marqués par semaine.
Louise Dupin reçoit le vendredi et on croise chez elle toute l'aristocratie parisienne, mais également des ministres et des ambassadeurs étrangers. En jouant ce rôle d'hôtesse, elle contribue à dorer le blason de la famille Dupin.
Au début de son mariage, Louise d’Epinay écrit : « nous aurons deux soupers et un dîner par semaine…. Ensuite nous aurons un concert public par semaine, c'est-à-dire où tous les gens de notre connaissance pourront venir et 2 autres jours où nous aurons seulement quelques musiciens pour nous amuser à porte fermée »

Mme du Deffand reçoit tous les jours au plus tôt à 17 heures ; après le souper, on lit, on parle, on joue aux jeux d’argent ; elle s’endort rarement avant l’aube : « je me couche à une heure ou deux, je ne dors point. J’attends les 7 heures avec impatience ; mon invalide arrive, je veux dormir, et il me lit quelquefois 4 heures avant que le sommeil arrive…je m’endors à onze heures ou midi…je ne me lève qu’à cinq ou six heures »


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L’espace dévolu à ces épouses (notamment les deux Louise) n’est pas véritablement domestique (on ne leur demande pas de s’occuper du foyer) ; il n’est pas non plus public (c’est avant tout la place de l’homme) ; il est entre les deux.

(à suivre ici)


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