lundi 1 mai 2017

Louise d'Epinay chez Voltaire (1)

Venue consulter le docteur Tronchin, Louise d'Epinay arriva à Genève au début du mois de novembre 1757. Elle s'installa dans une petite maison située rue du Grand-Mézel. Son époux Denis demeura avec elle jusqu'au 16 novembre, après quoi il retourna à Paris.
Informé de leur installation, Voltaire vint très vite aux nouvelles.





A M. ET A MADAME D’ÉPINAY (11 novembre 1757)

Je ne suis point encore assez heureux pour être en état d’aller rendre mes devoirs à M. et à Mme d’Épinay. On m’assure que ma­dame se porte déjà beaucoup mieux; nous l’assurons, Mme Denis et moi, de l’intérêt vif que nous y prenons, et de notre empres­sement à recevoir ses ordres.

A MADAME D’ÉPINAY (novembre)

André est un paresseux qui n’a pas porté mes billets écrits hier au soir, selon ma louable coutume. Ces billets demandaient les ordres du ressusciteur et de la ressuscitée. Le carrosse ou le fiacre le plus doux est à leurs ordres, à midi.
Je n’ai pas un moment de santé; je ne mange plus, et j’ai des indigestions. Je suis sans inquiétude, et je ne dors point. C’est la vecchiaia, la debolezza; et c’est ce qui fait que je n’ai pu encore aller chez les dévotes (comprenez : les patientes) du révérend père Tronchin.
A midi précis, le fiacre part.

A MADAME D’ÉPINAY (novembre)
Heureusement Mme d’Épinay ne craint point le froid; sans cela je craindrais bien pour elle ce maudit vent du nord qui tue tous les petits tempéraments. Puisse-t-il, madame, respecter vos grands yeux noirs et vos pauvres nerfs! Quand honorerez-vous notre cabane de votre présence? V.
A MADAME D’ÉPINAY (novembre)

Madame, quand je vous appelai la véritable philosophe des femmes, cela n’empêcha pas que notre docteur ne fût le véritable philosophe des hommes. Il s’intitula fort mal à propos singe de la philosophie. Plût à Dieu que je fusse son singe! Mais, madame, faut-il que la pluie empêche deux têtes comme la vôtre et la sienne de venir raisonner dans mon ermitage? Nous aurons l’honneur de venir chez vous, madame, quand vous l’ordon­nerez, quand vous voudrez nous recevoir, et que je serai quitte de ma colique.
Je vous présente mon respect. V.

 
les Délices, résidence de Voltaire à Genève






A MADAME D’ÉPINAY (décembre)

Pour aujourd’hui, malgré mon respect pour les deux grands et beaux yeux de la véritable philosophe, je demande la permis­sion de la robe de chambre.
J’attends aussi le véritable philosophe (le médecin Tronchin) avec impatience. J’en­voie le fiacre à midi. V.

A M. THIERIOT. (décembre)

J’ai aussi quelquefois chez moi une fermière générale, c’est Mme d’Épinai; mais je ne l’épouserai pas: elle a un mari jeune et aimable. Pour elle, c’est à mon gré une des femmes qui ont le meilleur esprit. Si ses nerfs étaient comme son âme et en avaient la force, elle ne serait pas à Genève entre les mains de M. Tronchin. Nous ne sommes jamais sans quelque belle dame de Paris. On ira bientôt à Genève comme on va aux eaux, et on s’en trouvera mieux.

A MADAME D’ÉPINAY (décembre)

C’est grand dommage, madame, que vous n’existiez pas: car, lorsque vous êtes, personne assurément n’est mieux. Je n’existe guère, mais je souhaite passionnément de vivre pour vous faire ma cour. Si vous craignez les escalades (Allusion à la fête dite de l’Escalade, que l’on célébrait tous les ans, à Genève, le 12 décembre, en commémoration du succès avec lequel les Genevois, au mois de décembre 1602, avaient repoussé l’attaque nocturne des troupes du duc de Savoie.), daignez venir jouir de la tranquillité dans notre cabane, lorsque nous aurons battu les Savoyards. Honorez-nous de votre présence; nous la préférons à tout. Nous sommes à vos ordres et à vos pieds.

 
fete de l'escalade à genève





A MADAME D’ÉPINAY (décembre)

Je demande aujourd’hui la permission de la robe de chambre à Mme d’Épinay. Chacun doit être vêtu suivant son état. Mme d’É­pinay doit être coiffée par les Grâces, et il me faut un bonnet de nuit.


A D'ARGENTAL (décembre)

J’ai actuellement chez moi Mme d’Épinay, qui vient demander des nerfs à Tronchin. Il n’y a point là de salmigondis; cela est philosophe, bien net, bien décidé, bien ferme. Je la quitte pour­tant, et je vais au Palais-Lausanne.



A MADAME D’ÉPINAY (décembre)

On est aux pieds de la véritable philosophe; on est pénétré de regrets de la quitter, et de remords de n’être point allé à Ge­nève; on demande pardon. On souhaite trois ou quatre ans de langueur à la vraie philosophe, afin qu’elle ait besoin quatre ans du grand Tronchin. Les deux ermites lui sont attachés avec tous les sentiments qu’elle inspire. Ah! si elle pouvait venir à Lausanne!




A MADAME D’ÉPINAY. (A Lausanne, 26 décembre)

Des préjugés sage ennemie,
Vous de qui la philosophie,
L’esprit, le coeur, et les beaux yeux,
Donnent également envie
A quiconque veut vivre heureux
De passer près de vous sa vie;
Vous êtes, dit-on, tendre amie;
Et vous seriez encor bien mieux,
Si votre santé raffermie
Et votre beau genre nerveux
Vous en donnaient la fantaisie.

Heureux ceux qui vous font la cour, malheureux ceux qui vous ont connue et qui sont condamnés aux regrets! Le hibou des Délices est à présent le hibou de Lausanne: il ne sort pas de son trou; mais il s’occupe avec sa nièce de toutes vos bontés. Il se flatte qu’il y aura de beaux jours cet hiver, car après vous, madame, c’est le soleil qui lui plaît davantage. Il a dans sa masure un petit nid bien indigne de vous recevoir; mais quand nous aurons de beaux jours et des spectacles, peut-être, madame, ne dédaignerez-vous point de faire un petit voyage le long de notre lac. Vous aurez des nerfs; M. Tronchin vous en donnera; j’espère qu’il vous accompagnera. Tous nos acteurs s’efforceront de vous plaire; nous savons que l’indulgence est au nombre de vos bonnes qualités.

Je vous demande votre protection auprès du premier des mé­decins, et du plus aimable des hommes, et je lui demande la sienne auprès de vous. Mais si vous voyez la tribu Tronchin, et des Jallabert (professeur de philosophie à Genève), et des Crommelin, etc., comme on le dit, vous ne sortirez point de Genève, vous ne viendrez point à Lausanne. L’oncle et la nièce en meurent de peur.

Recevez, madame, avec votre bonté ordinaire, le respect et le sincère attachement du hibou suisse.

Me permettez-vous, madame, de présenter mes respects à M. l’abbé de Nicolaï? Je voudrais bien que monsieur votre fils, qui est si au-dessus de son âge et si digne de vous, et son aimable gouverneur (le précepteur Linant), voulussent bien se souvenir du Suisse de Lausanne.

(à suivre ici)

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