mercredi 8 juin 2016

Xavier Martin : Voltaire Méconnu (3)




Après Fréron, après Barruel, et plus récemment Marion Sigaut (qu'on a souvent malmenée...), Xavier Martin est le dernier en date d'une interminable liste de cancaniers hostiles au patriarche de Ferney. La tâche est devenue malaisée, reconnaissons-le, car en près de 250 ans, ses adversaires ont eu toute latitude pour déverser des tombereaux d'immondices sur la dépouille de Voltaire. 
Et ils ne s'en sont jamais privés !
A lire Xavier Martin, Voltaire est pourtant, "un auteur que l'on protège" (p.269). Et d'insister à plusieurs reprises : "Voltaire, étrangement, est un auteur protégé" (p.228) ; "on nous le dissimule, du moins le plus possible" (p.57) ; "la gravité du cas demeure peu diffusée" (p.276) ; "tout se passe comme si Voltaire était bizarrement un auteur protégé"( p.60).
A mettre l'eau à la bouche de son lecteur, on se dit que l'essayiste finira par étancher notre soif, qu'il nous livrera les responsables de cet infâme complot destiné à protéger le mentor des Lumières. Au terme des 330 pages du brulot, force est de reconnaître que notre espoir est déçu... Il nous reste à procéder par élimination: puisque Xavier Martin enseigne en faculté, puisque son avis sur le XVIIIème fait autorité, on ne saurait du moins suspecter l'université et ses mandarins d'être coupables d'une telle malfaisance.
Mais alors qui ? La question demeurera sans réponse...

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Xavier Martin

"Tout est dit et l'on vient trop tard" aurait dit La Bruyère. Mais Xavier Martin n'est pas La Bruyère... Confronté à l'impossibilité de faire du neuf avec du connu et du ressassé, il va avancer tout et n'importe quoi : passe encore qu'il traite Voltaire de fou, de méchant homme et de menteur etc... (tout cela se justifie aisément), mais que penser des allusions à son homosexualité (p.141-142) ou encore aux pratiques satanistes (p.174) ? Et que dire de cette supposée parenté intellectuelle entre le poète et... Hitler ? (p.179)
Décidément, certains auteurs osent tout : c'est même à cela qu'on les reconnaît...

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Aux yeux des nostalgiques de l'ancien régime, Voltaire est le symbole même de l'Anti-France. Pour le discréditer, rien de mieux que de prouver sa haine à l'égard de tout ce qui touche à son pays : "Mépris de Paris", dit Xavier Martin (p.32), avant de parler d'une "haine envers cette ville". Aux yeux de Voltaire, "les Français sont"  d'ailleurs tout aussi "méprisables"...
L'essayiste multiplie les citations, les allusions, les témoignages pour étayer sa thèse.
Et de fait, Voltaire vécut loin de Paris pendant près de 28 ans !  
Sauf que durant ces 28 années, il vécut animé d'une seule obsession : y retourner ! (rappelons qu'il n'y fut autorisé qu'en 1778)
Voyons par exemple ce qu'il écrivait à ses correspondants en 1754 :
 "Je ne pouvais deviner qu’en revenant en France, sur la parole de Mme de Pompadour, sur celle de M. d’Argenson, j’y serais exilé"(...)
 "Me voilà exilé pour jamais de Paris, pour un livre qui n’est pas certainement le mien dans l’état où il paraît, pour un livre que j’ai réprouvé et condamné si hautement" (plainte à d'Argental)
  
"j’ai pris la liberté de vous supplier de détromper Mme de Pompadour, quand l’occasion se présenterait, et de vouloir bien détruire d’un mot de votre bouche la mauvaise foi et la calomnie, que je ne peux plus supporter." (plainte à Malesherbes)

"Votre suffrage, si vous avez le temps de le donner, sera la plus chère récompense de mes pénibles travaux" (plainte au comte d'Argenson)

"J’attends encore de la générosité de votre âme que vous ne voudrez pas remplir mes derniers jours d’amertume.
Je vous conjure de vous souvenir que j’avais perdu mes emplois pour avoir l’honneur d’être auprès de vous, et que je ne le regrette pas; que je vous ai donné mon temps et mes soins pendant trois ans; que je renonçai à tout pour vous, et que je n’ai jamais manqué à votre personne.
(...) Je vous en conjure par le véritable respect que j’ai pour vous, daignez vous rendre à votre caractère encore plus qu’à la prière d’un homme qui n’a jamais aimé en vous que vous-même, et qui n’est malheureux que parce qu’il vous a assez aimé pour vous sacrifier sa patrie. Je n’ai besoin de rien sur la terre que de votre bonté. Croyez que la postérité, dont vous ambitionnez et dont vous méritez tant les suffrages, ne vous saura pas mauvais gré d’une action d’humanité et de justice.
En vérité, si vous voulez faire réflexion à la manière dont j’ai été si longtemps attaché à votre personne, vous verrez qu’il est bien étrange que ce soit vous qui fassiez mon malheur." (plainte à Frédéric, roi de Prusse, dont il espérait qu'il intervienne en sa faveur)

Sont-ce là les mots d'un homme qui a tourné le dos à son pays ? Ou bien Xavier Martin a-t-il sciemment omis tout ce qui nuisait à sa démonstration ?

(à suivre ici)

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